Trois expositions féministes ? En proposant des sujets pointant les conditions des femmes pendant et après la Seconde Guerre mondiale et réhabilitant leurs combats ou leurs talents, trois musées départementaux se font militants d'une cause encore loin d'être gagnée en 2019. Quelques batailles ont été gagnées depuis, mais la guerre n'est pas terminée !
Vivian Maier : juste quelqu’un de bien ?
Toute sa vie, Vivian Maier occupe une place parfaite pour une femme, enfin selon les critères d'une société patriarcale et misogyne : gouvernante, elle apparaît sans relief, effacée, en retrait socialement. Une vie comme il faut, comme elle doit être, banale, mais une vie aux apparences trompeuses dont l'intérêt supérieur commencera à être révélé au public en 2009, l'année de sa mort, à 83 ans.
Deux ans plus tôt, un agent immobilier, John Maloof, achète une partie des biens de Vivian Maier qui, malade, ne peut plus payer le garde-meuble où elle entrepose ses effets personnels. Son contenu est vendu aux enchères et ce qu'y découvre John Maloof est assez stupéfiant : un lot de 30 000 négatifs et des centaines de rouleaux de pellicules. Il ne connaît alors pas l'identité de son propriétaire. Le temps, les recherches, le hasard et les rencontres fortuites permettront de remonter jusqu'à Vivian Maier et de faire naître sa légende... après sa mort.
Car les négatifs, une fois développés, révèlent une œuvre photographique éclatante, impressionnante à tous égards, et les clichés racontent une autre histoire de Vivian Maier. Celle d'une photographe amateure de talent, passionnée, passant la majeure partie de son temps libre à photographier Chicago sous tous ses angles, avec son Rolleiflex.
Si elle embrasse tous les sujets, ses favoris sont les laissés-pour-compte, les plus démunis, les marginaux, mais aussi les plus riches à qui elle réserve un traitement implacable. Son génie, son sens du cadrage et de la composition se manifeste aussi dans des autoportraits où elles se dévoilent à peine mais où elle existe, enfin ! Jusqu'au 15 mars, le musée de l'Ancien Évêché expose 120 de ses clichés, dont une sélection de photos prises en 1959 à Grenoble et dans le Champsaur, lors de son voyage sur les traces de ses ancêtres. Incontournable.
Les femmes et la guerre : la reconnaissance tarde
Le début de l'exposition « Femmes des années 40 » présentée au musée de la Résistance et de la Déportation de Grenoble donne le ton de la visite : fin des années 30, les femmes n'ont pas obtenu l'égalité civile et politique ni le droit de vote et, dans un contexte de déséquilibre démographique, le rôle qu'on leur octroie est avant tout d'être des mères.
L'instauration du régime de Vichy en 40 va empirer leurs conditions. On ouvre des écoles ménagères pour les femmes, les tentatives de contraception deviennent un “crime contre l'état” passible de la peine de mort, on encourage la pratique du sport afin de préparer le corps des femmes à l'enfantement. Tout un programme !
L'exposition s'attarde aussi sur les conditions de vie, pour ne pas dire de survie. Le système D se développe et les premiers actes de Résistance avec. Dans ce contexte collaborationniste, les chemins divergent. Collaboration ou Résistance ? Des femmes s'engagent de part et d'autre. En Isère, de grandes figures féminines de la Résistance apparaissent : Marie Reynoard, Margueritte Gonnet, Léa Blain, etc. Certaines y laissent leur vie.
Mais leur action a souvent été perçue comme secondaire. Ce n'est pourtant pas le cas et l'exposition leur rend justice en montrant leur rôle déterminant en tant que combattantes, agents de liaison ou responsables de filières d'évasion.
À la Libération cependant, l'engagement des Françaises dans la Résistance n'est pas reconnue à sa juste valeur et les inégalités demeurent malgré l'obtention du droit de vote. Il faut attendre 1968 pour que de nouveaux droits soient acquis. L'exposition termine sur les mouvements féministes plus récents et la troisième vague de combat qui s'amorce, justifiée par l'Histoire et l'actualité.
Rose Valland : chasseuse d'oeuvres spoliées
Encore un destin hors du commun pour cette fille, née à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs, d'un maréchal-ferrant et d'une femme au foyer. Malgré ses origines modestes et le conservatisme ambiant (les filles ne sont pas censées faire de grandes études), Rose Valland trace sa voie et obtient de nombreux diplômes dans les domaines des arts et de l'Histoire. Ils lui ouvriront les portes du Jeu de Paume à Paris où sa vie basculera.
Car après la défaite et l'occupation de Paris, ce lieu deviendra le dépôt central, en France, des œuvres d'art spoliées par les nazis, essentiellement aux familles juives. Leur dessein : rejoindre le gigantesque musée voulu par Hitler, le Führermuseum !! Rose Valland entre alors en Résistance et pendant 3 ans, note secrètement des milliers d'informations sur l'origine des pièces et leur destination. À la Libération, elle est missionnée en Allemagne. Son rôle est central dans la récupération de quelque 60 000 œuvres d'art.
Malgré tout, Rose Valland reste longtemps une quasi-inconnue dans son pays. Le musée Dauphinois lui rend hommage avec cette exposition passionnante retraçant l'intégralité de son parcours, de son enfance à l'occupation, puis à la Libération où tout le processus d'enquête et de restitution est détaillé. Un personnage incroyable, incarné deux fois au cinéma par Suzanne Flon (dans Le Train) et Cate Blanchett (dans Monuments Men). Belle reconnaissance.
Infos pratiques
> Vivian Maier – Street photographer. Jusqu'au 15 mars 2020.
Musée de l'Ancien Évêché / http://www.musee-ancien-eveche.fr
> Rose Valland, en quête de l'art spolié. Jusqu'au 15 avril 2020.
Musée Dauphinois / http://www.musee-dauphinois.fr
> Femmes des années 40. Jusqu'au 18 mai 2020.
Musée de la Résistance et de la Déportation / http://www.resistance-en-isere.fr
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