Ce symbole de béton fut un temps la plus haute construction de la ville (jusqu’à l’avènement de la tour Perret). À 140 ans, l’église a déjà une longue vie, mais est aujourd’hui plus occupée par les pigeons que par les croyants.
Pierre n’en peut plus de ces oiseaux. « Ils sont partout et salissent tout », s’exclame le retraité qui prend soin de l’église Saint-Bruno depuis quelques années. À ses pieds, les pigeons picorent tranquillement, puis s’envolent en direction du toit de l’église — ils s’y sentent à l’aise. Pierre préférerait qu’ils déguerpissent. En passant devant l’église aux portes perpétuellement fermées, on se demande parfois si elle accueille encore l’office. « Nous l’ouvrons trois fois par semaine, dont le dimanche pour la messe », assure Pierre, qui détaille : « Si on laisse rentrer les gens, on s’expose à des dégradations. »
Les clés en main, il emprunte la porte arrière et revient sur l’histoire mouvementée de la construction des 1000 m2 de l’église. Inauguré en 1878 dans ce quartier alors en plein développement, l’édifice a épuisé quatre architectes pour être achevé. Un premier est choisi pour le dessin, puis un deuxième va finaliser le projet sur le papier. Enfin, Péronnet et Berruyer s’occuperont de la construction de cette église tout en béton moulé, issu des carrières de Voreppe.
Cette période est faste pour le quartier, qui va se peupler de bâtiments « sociaux ». Ainsi, Pierre évoque les liens entre la paroisse naissante et les chefs d’entreprises installées à Saint-Bruno et Berriat (les industrieux A.Raymond, Bouchayer, etc.). Issues de la mouvance « sociale » de l’Église, elles ont largement participé à la construction du quartier en créant « une sorte de Pôle Emploi à l’époque, des écoles et des bains douches », énumère Pierre. Ainsi, le 20 de la place est un de ces vestiges contemporains de l’église Saint-Bruno.
Dans l’antre du pigeon
Par souci d’économie lors de la construction, aucune technique monumentale n’a été utilisée, d’où l’aspect humble de l’édifice religieux. Les décors font preuve de dénuement : aucune couleur n’anime les murs blancs et gris, les vitraux sont simples, tout comme les piliers.
Seules deux grandes toiles habillent les transepts, représentant Saint-Bruno (le moine mort en 1101 qui a légué son nom) rencontrant Saint Hugues en Chartreuse. En outre, deux statues en bois monumentales accueillent les fidèles du dimanche : Saint-Pierre et Saint-Paul, haut de 3 m, sont ici représentés par le sculpteur Hénard.
Pierre nous emmène enfin vers une porte dérobée qui permet d’accéder aux étages et ne manque pas de faire remarquer au passage que « dans cette partie de l’église, nous avons eu plusieurs centimètres d’eau, car nous subissons des infiltrations ».
Après une volée de marches d’un escalier étroit, apparaît l’orgue posé au-dessus de l’entrée. Il a été démonté pour créer l’actuel instrument (situé de l’autre côté de l’église) et ses débris sont entreposés dans de petites pièces. On y remarque en outre le soufflet géant qui approvisionnait l’orgue en air. Il faut ensuite grimper un deuxième escalier pour atteindre le dernier étage. Sur la troisième marche qui mène au royaume des pigeons, le visiteur est accueilli par un squelette poussiéreux d’oiseau. Plus loin, un autre cadavre est par terre. La toiture, enfin, est là.
Les déjections couvrent le sol et la présence humaine agite les volatiles résidents. Ils tentent de s’échapper dans une volute de plumes, en panique. Pour voir où se trouve leur issue de secours, on s’engage sur des planches bancales à leur poursuite.
Une fois au croisement de la nef et des transepts, apparaît, à gauche, une ouverture en forme de fleur couverte d’un filet censé les empêcher de rentrer. Les deux pigeons paniqués s’y empêtrent puis réussissent à fuir l’envahisseur malgré l’obstacle. Le cadavre d’un des leurs, accroché au filet, atteste de la dangerosité de l’opération. Un lieu béni pour mourir.
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