Parcourir le monde dans son camion, c’est un peu le retour du héros de « On the Road », de Kerouac, avec moins de whisky frelaté. La nourriture y est, là aussi, bien meilleure. En France, cette mode a déjà une dizaine d’années et voilà cinq ans que Grenoble suit une tendance qui ne semble pas s’essouffler. Petit tour d’horizon des food trucks du coin, entre burger saignant et plat équilibré et végé.
Tuut tuut. C’est le son du camion du boulanger, arrivant dans la cour de la ferme, qui s’annonce. Cette tradition des campagnes françaises s’est américanisée (qu’est-ce qui ne l’a pas été ?) et a anglicisé son nom. Aujourd’hui, on ne parle plus de camion, mais de food truck. Son histoire, aussi courte que la création des USA, vient de ces caravanes de pionniers souhaitant découvrir les dangers du grand Ouest sauvage.
On pense aussi au camion du glacier, dont la musique (tantôt flippante, tantôt réjouissante) parcourt la filmographie outre-Atlantique. En France, la mode est née à Paris, où une cuisinière au nez fin monte son food truck de burgers en 2011. La sauce prend, et va infuser dans les régions. Ainsi, à Grenoble, le premier né de cette dynastie, c’est le Black Rhino. Montée par Emeric, qui a été rejoint par Jeff et la cuistot Chloé, l’affaire marche bien, et l’image du food truck se diffuse.
Presque victime de son succès, il écoule jusqu’à 120 burgers par jour. Quand on rencontre l’équipe dans leur petite caravane noire et orange, elle est posée sur la place de la Résitance, au beau milieu de la presqu’île scientifique. Au carrefour des grands organismes de recherches (CNRS, CEA) et d’industriels (Schneider ou STMicroelectronics), Emeric se régale. Passé par l’IEP de Grenoble, et ancien consultant en management pour différentes entreprises, il a gardé un certain feeling du business, et a choisi soigneusement les coins où se poser en fonctions. Et la file d’attente ne dément pas le succès du Black Rhino.
Comme on passe un peu tard, les frites sont épuisées. Mais goûter leur viande (fournie par un boucher savoyard) accompagnée de cheddar affiné et d’une sauce au Jack Daniel’s ravit le palais. « Mieux vaut réserver son burger », avertit Emeric, qui assure que peu importe la pluie ou la neige : « cela n’entre pas en ligne de compte puisqu’on a beaucoup de groupes qui vont ramener à manger pour leurs collègues de bureau.
En plus de ce travail hebdomadaire, le food truck joue sur l’image d’une nourriture facile à manger. D’où la présence de trucks dans les différents festivals de l’agglomération, comme au Cabaret frappé ou devant la Belle Électrique.
Mais si le food truck est cool, il ne faut pas croire que la vie de food truckiste est facile. L’équipe de trois personnes se sert dans la caravane, et doit nettoyer chaque jour, de fond en comble, l’habitacle. Puis c’est le retour au laboratoire, pour décharger le matériel, puis lancer les préparations du lendemain. Une importante logistique qui va permettre d’assurer la fraîcheur des produits. Restent les tâches administratives à régler, et c’est reparti pour un tour !
Autres camions, autres saveurs
Si les restaurants en camion ont débuté sous l’égide du très américain burger, heureusement, la France a su réinventer le concept, surtout au niveau des saveurs. Ainsi, de nouveaux camions sillonnent les rues de l’agglomération.
Parmi eux, le Whoo Hoo. Dans sa mini-caravane jaune et violette, Isabelle veut du local, du local, du local. Son symbole (la carte du monde) affiche pourtant l’ambition du restaurant : en faire voir de toutes les couleurs aux clients.
Cette ancienne professeur est partie justement aux USA, pendant dix ans puis a souhaité lancer son food truck à Los Angeles. « Je devais me lancer là-bas, tout était prêt, j’avais même trouvé un investisseur. Malheureusement, je n’ai pas obtenu de visa, et j’ai dû revenir en Europe », réagit-elle.
Pas déprimée pour un sou, elle finit par se lancer en France. Et les inspirations de cette cuisinière par passion sont multiples. Ainsi, les menus sont extrêmement variés, et prennent la forme d’une entrée/plat/dessert consistant.
La cuisinière manie aussi très bien la cuisine asiatique, lui permettant de faire des salades bo bun agréables et un curry thaï vert maison avec riz et salade. « En général, je me fie à ce que je trouve sur le marché, ou chez mes fournisseurs », rappelle-t-elle, en évoquant son porc à la sauce aigre-douce accompagnée d’une salade kimchi maison (composée de chou).
Pour les desserts, chocolat ou parfait à la framboise ou passion régalent les yeux, et le ventre. Enfin, en ces temps de réchauffement, la cuisine assure l’utilisation d’emballages faits à partir de matériaux recyclés et recyclables. Nouvelle dans le circuit, elle a dû faire ses preuves.
Mais déjà, une certaine reconnaissance lui permet de trouver des lieux où poser sa caravane, notamment près de l’hôpital Michallon. Depuis quelques mois, le CHU souhaite proposer d’autres goûts aux malades, aux médecins, et aux visiteurs.
Une Malgache et son rougail
Au pied du CHU, c’est une autre femme que l’on rencontre. Dans son camion rouge siglé Art' Îles' A, la souriante Olivia (née à 9 000 km de la France, dans la capitale malgache) propose des plats de la Réunion et de Madagascar. Les achards disputent la place aux autres plats cuisinés.
La spécialité ? Un rougail de la mer, avec crevette, cabillaud et saint-jacques : « C’est une de mes créations, qui marche vraiment très bien », assure la cuisinière, qui fait pousser ses propres légumes, et ses plantes aromatiques. Pour les épices, elle a gardé des contacts dans les îles de l’océan Indien, et un arrivage régulier lui permet la création de ses plats singuliers.
Elle tient en tout cas à compartimenter ses inspirations : « J’utilise les épices de la Réunion pour les plats de la réunion. Pareil pour Madagascar. Je ne mélange pas ! », poursuit-elle en évoquant le plat malgache par excellence, le ro-mazava composé de viande de bœuf, de brèdes, de tomates et d’oignons, qu’Olivia va venir cuisiné au feu de bois.
Or, à Madagascar, le piment est maître, présent sous des formes extrêmement variées. Or, Olivia le sait, nos estomacs sont douillets, et elle tient à « avertir les clients s’il y a du piment. Et si vous voulez en rajouter, c’est possible ! », s’exclame la cuisinière qui, lorsqu’on trébuche sur l’origine des samoussas, elle reprend : « Attention, les samoussas viennent des Comorres. »
Une connexion au Japon
On quitte alors l’océan Indien pour se diriger vers l’Asie, et surtout le pays du soleil levant, représenté par Marlène. Avec son camion Maki & Co, les sushis aussi ont leur pré carré sur la place iséroise. Vivant dans Belledonne, la jeune femme se consacre aux villes de l’Ouest grenoblois.
Souhaitant populariser le vrai sushi, elle n’a rien d’une amatrice. En effet, après avoir travaillé dans l’immobilier, elle s’intéresse à la cuisine japonaise et va faire de nombreux stages sur place, chaque année, pour se perfectionner.
C’est donc équipé de son Deba (couteau à poisson traditionnel) qu’elle réalise les makis, sushis et sashimis et autres plats moins connus (et d’autant plus intéressants à goûter). Mais alors que les autres camions préfèrent les clientèles de professionnels, Marlène pose son camion le soir pour séduire une clientèle qui s’apprête à rentrer à la maison.
Elle y propose des plateaux, pour un repas tout seul ou à plusieurs, et des plats pour les enfants à petits prix. Alors certes, le food truck a commencé avec des burgers, mais désormais, c’est tout le spectre de l’excellence culinaire mondiale qui parcourt nos rues. Reste à choisir le bon !
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