Chamrousse, l’Alpe d’Huez, La Plagne, Val Thorens, etc, ne sont plus seulement des « stations de ski », mais plutôt de véritables « espaces récréatifs en montagne ». Les « hôtes » – plutôt que les « touristes » - viennent y chercher le plaisir de la glisse et/ou une multitude d’expériences, afin de se forger des souvenirs, qu’ils soient sportifs ou non. Focus sur une évolution qui dépasse le simple cadre du marketing.
Jusqu’à un passé récent, l’Alpe d’Huez était la plus grande station de l’Isère (avec ses 220 km de pistes), Chamrousse la station des trois médailles d’or olympiques de Jean-Claude Killy, Autrans et Méaudre de « petites stations » idéales pour l’apprentissage du ski alpin… En d’autres termes, les différents lieux de villégiature pour des « vacances aux sports d’hiver » n’étaient jugés qu’à l’aune de critères sportifs.
« C’est lié à l’histoire même du ski et des sports d’hiver. En France, le ski a vraiment démarré à travers l’activité sportive, notamment avec les Jeux Olympiques de Chamonix en 1924. La classification des pistes de ski – vert/bleu/rouge/noir – c’est encore une vision sportive. Mais aujourd’hui, on a évolué du sport vers le loisir/plaisir, et même vers l’art de vivre. Un séjour en montagne devient une philosophie, un état d’esprit, une culture avec ses propres valeurs : les bienfaits naturels (l’air vivifiant, la production de globules rouges..), le dépassement de soi, l’autonomie, la quête de vacances avec du sens (on veut découvrir l’histoire de la station, manger le fromage local, etc). Ça correspond finalement à l’évolution générale de la société », juge Jean-Marc Silva, le directeur de France Montagnes, l’organisme de promotion des stations de ski françaises.
Le projet de « station du futur », imaginé par les équipes d’Isère Tourisme et présenté en avril dernier, lors du salon Mountain Planet, illustre tout à fait le basculement de simples stations de ski vers de véritables espaces récréatifs à la montagne.
Ainsi, selon ce projet, à l’horizon 2030, Chamrousse serait la « station high tech » (orientée vers l’innovation technologique, hyper connectée), l’Alpe d’Huez la station « loisirs » (on privilégie le plaisir, le partage de temps et d’activités avec sa famille et ses amis), Villard-de-Lans et Autrans-Méaudre les « pleine énergie » (écrins thérapeutiques où l’on prend du temps pour soi, pour se reposer, se régénérer), Saint-Pierre-de-Chartreuse la « douce » (en totale reconnexion avec la nature, dans des espaces naturels préservés) et les 2 Alpes l’« hyper-sport » (pour la pratique sportive intensive et le dépassement de ses limites).
Chamrousse, « où une personne sur deux qui vient en séjour ne skie pas », selon Franck Lecoutre, le directeur de l’office du tourisme, a opéré depuis trois ans une évolution, aussi bien sur le terrain que dans sa façon de communiquer.
« On travaille désormais par espaces thématiques : ski alpin, fun park (pour les nouvelles glisses), family park (avec notre nouvelle piste thématique La Montagne de Téo), nordic park (pour le ski de fond, les raquettes, les chiens de traîneaux…), mais aussi les autres activités. Et on n’a d’ailleurs plus un simple plan des pistes, mais un plan global des activités, avec les pistes de ski alpin, mais aussi la plongée sous glace, la motoneige, etc. On accorde aussi plus d’importance à la mise en scène, avec par exemple des figurines sur les bords de nos pistes ludiques ou des barbecues sur le snowpark ».
À l’instar de Chamrousse, la plupart des stations françaises jouent aujourd’hui la carte de la diversification… qui n’est pourtant pas totalement nouvelle.
« Déjà, en 1990, avec la campagne publicitaire La montagne, ça vous gagne !, on montrait d’autres images que le ski – par exemple des chiens de traîneaux – pour faire la promotion des stations. Mais la grosse différence entre cette époque et aujourd’hui, c’est l’évolution des domaines skiables – avec des remontées mécaniques plus performantes et des pistes mieux préparées - et du matériel, les skis tournant beaucoup plus facilement. Avant, pour faire dix descentes, il fallait compter une journée complète. Aujourd’hui, une demi-journée suffit. On a donc libéré du temps aux vacanciers, qui en profitent pour vivre de nouvelles expériences, et ce d’autant plus que les gens sont aujourd’hui beaucoup plus zappeurs. Et avec une quarantaine d’activités proposées en station – luge, tyrolienne, plongée sous glace, chiens de traîneaux, raquettes, ski yoga, etc - il y a le choix », assure Jean-Marc Silva.
Si le ski reste un « pré-requis, un produit essentiel », il est loin d’être aussi déterminant que par le passé dans le choix d’une station pour un séjour à la montagne, selon Franck Lecoutre, de Chamrousse : « Chaque station essaie de construire son storytelling à donner à ses clients, pour qu’ils puissent vraiment s’identifier à elle, établir un rapport affectif. On essaie de parler de son histoire, de faire rentrer les clients – dont on souhaite qu’ils se sentent davantage des hôtes que des touristes – dans le petit monde de la montagne. Au lieu d’une simple brochure touristique, nous avons désormais un véritable magazine, pour raconter la station, ses acteurs… Je préfère d’ailleurs parler d’espace récréatif de bien-être plutôt que de station, un terme un peu trop réducteur et dépassé ».
Jean-Marc Silva de France Montagnes abonde dans le même sens : « Bien sûr, le domaine skiable reste la carte de visite, en particulier pour la clientèle internationale. Mais finalement, ce qui est important, c’est l’expérience qu’on va vivre à la montagne. On n’est plus aujourd’hui sur du ski-exploit. Les gens cherchent avant tout à se faire du bien, à profiter des bienfaits naturels de la montagne, qui doit constituer une bouffée d’oxygène, contrastant avec des villes de plus en plus polluées. Il faut aussi prendre en compte le phénomène de tribu, dans laquelle il y a des skieurs et des non-skieurs. Il faut donc des activités pour tout le monde. Aujourd’hui, c’est celui ou celle qui skie le moins qui va choisir la station ».
Sans en être directement à l’origine, les réseaux sociaux ont sans doute accéléré la diversification des activités proposées par les stations. Toujours selon Jean-Marc Silva, « la montagne doit aujourd’hui être Instagrammable : on doit pouvoir montrer tout ce qu’on fait pendant son séjour sur les réseaux sociaux. C’est pourquoi on voit par exemple se multiplier les Pas dans le vide (comme le Vertige des Cimes à Lans-en-Vercors, ndlr), parce que ça permet de publier la plus belle photo sur Facebook ou Instagram ».
Les réseaux sociaux permettent aussi aux stations de créer avec leurs clients une relation « moins commerciale, mais plus conviviale, et surtout plus ciblée », d’après Franck Lecoutre. Avec l’idée de développer une pratique vieille comme le monde, en l’occurrence le bouche-à-oreille, « qui reste la meilleure communication qui soit. Mais cela demande aussi une amélioration permanente de la qualité de l’expérience client. Par exemple, sur les pistes, on ne veut plus se contenter d’avoir des vertes, bleues, rouges ou noires. On veut aller plus loin, avoir une ambiance ludique. Et ça va bien au-delà du ski : on doit s’améliorer sur le stationnement – pour que nos hôtes ne soient pas gênés par les voitures – la gastronomie, la gamme des hôtels, le classement des appartements, etc ».
Bref, même si le ski reste une locomotive, le succès d’un séjour aux sports d’hiver repose sur le fait que « toutes les expériences de ce séjour soient réussies. C’est pourquoi il faut combiner le ski avec la gastronomie, des activités zen et bien-être, du fatbike, la découverte du patrimoine culturel et historique…
On est rentrés par la porte du sport – le ski – mais aujourd’hui on fait vivre des micro-expériences outdoor, et quatre saisons. L’idée, c’est que les vacanciers voient qu’il y a tellement d’expériences à vivre en montagne, qu’ils aient aussi l’envie de la découvrir à d’autres périodes que l'hiver », conclut Jean-Marc Silva.
Les tendances de l’hiver 2018-19
Parmi la quarantaine d’activités proposées par les stations françaises, Jean-Marc Silva, le directeur de France Montagnes, en voit quatre qui se dégagent :
1) Le ski de randonnée, avec 47 stations françaises disposant d’itinéraires de ski de randonnée balisés, dont 8 en Isère : l’Alpe du Grand Serre, les 2 Alpes, Chamrousse, Saint-Pierre-de-Chartreuse, l’Alpe d’Huez, Oz-en-Oisans, le col de Porte, Saint-Hilaire-du-Touvet.
2) Le fat bike (notamment dans sa version électrique)
3) Les activités zen, « comme le ski-yoga, avec les effets de l’altitude qui subliment les bénéfices d’une séance classique de yoga ».
4) La gastronomie. « On est aujourd’hui loin du cliché raclette – fondue – tartiflette. Il y a aujourd’hui une vraie culture culinaire, avec de la bonne cuisine de terroir, un renouveau gastronomique ». On recense d’ailleurs 21 restaurants étoilés au dernier Guide Michelin (11 en Savoie, 6 en Haute-Savoie, 2 en Isère, 1 dans les Hautes-Alpes, 1 dans les Vosges), dont quatre avec 3 étoiles (« Le 1947 », de Yannick Alléno, à Courchevel ; « La Bouitte », de René et Maxime Meilleur, aux Menuires ; «Les Flocons de Sel », d’Emmanuel Renaut, à Megève ; « La Maison des Bois », de Marc Veyrat, à Manigod).
Crédits photo : France Montagne Thomas Hytte
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