Dans les années 80, la mode est aux bâtiments à l’américaine. À Grenoble, les grandes tours vitrées destinées aux entreprises poussent à Europole, quartier triangulaire coincé entre la gare et le quartier Saint-Bruno.
Alain Carignon est un affairiste. Condamné pour corruption, il a eu le temps de marquer la ville en créant un quartier à son image : Europole.
En empruntant le tram B, la transition est flagrante entre l’arrêt Saint-Bruno (quartier ouvrier par excellence) et le Palais de justice. Vous passez au pied d’un long édifice d’un noir inaltérable : c'est GEM (Grenoble École de Management, la pointe sud du quartier), où convergent de futurs managers fumant clope sur clope.
Cet édifice marque la pointe sud du quartier et est complété par les bâtiments en arc de cercle de la place Schuman. Ici, pas un arbre, mais du verre, de l’acier et du béton. L’architecture écrase par sa puissance, et l’inscription World Trade Center surmonte le tout comme une cerise sur le gâteau.
Pourtant, derrière ces atours et son clinquant, Europole a la réputation d’être un peu « mort ». Mais faisons taire les mauvaises langues : la vie n’y est pas absente. Elle est juste de passage. Ainsi, tôt le matin, la place s’anime avec l’arrivée des premiers trains déchargeant une flopée de travailleurs. Toutes les dix minutes, une file indienne traverse la place, qui, à 9 h, retrouve sa quiétude minérale.
Optimisation spatiale
Il y a encore 20 ans, le triangle que forme Europole n’était qu’une friche où la Brasserie de la Frise, vieille de plus d’un siècle côtoyait la gare de marchandises. Elles sont toutes deux rasées dans la fin des années 80 sous l’impulsion d’Alain Carignon (maire RPR de 1983 à 1995) qui souhaite créer un quartier uniquement dédié au « business ».
Obsédé par le rayonnement international de sa ville, il imagine Europole comme le quartier de la Défense à Paris. Sur les restes fumants du XXe siècle, l’on construit donc un World Trade Center, qui se veut le symbole de la modernité grenobloise (13 700 m2 de bureau, où conférences, réunions et séminaires s’enchaînent) et accueille le siège d’entreprise comme GEG, Schneider Electric et bientôt la CCI (qui va déménager en 2020).
Plus loin, sur la rue Doyen Louis Weil, longue de 400 m, pas un commerce, mais des parkings et des caméras, qui surveillent les précieux véhicules. Les gros blocs de bureau écrasent les passants, par leurs nombreuses baies vitrées encastrées dans d’immenses cubes de béton. À leur pied, quelques arbres tentent de survivre, tout comme un employé dont la cigarette se consume au bas d’un bloc.
De la cité internationale au Palais
Au bout de cette rue, la cité scolaire internationale Europole (la pointe nord du quartier) ne détonne pas avec le paysage. Ici, les élèves sont au cœur de la mondialisation : le collègue-lycée accueille plusieurs sections internationales, une classe bi-nationale et même une école américaine privée (et payante à 4200 € l’année).
Elle fait le lien avec la presqu’île scientifique, et notamment Minatec, centre de recherche grenoblois, qui se trouve de l’autre côté de la rue Felix Esclangon. Reste, après ce sommet de l’internationalisation, à revenir sur ses pas sur la rue d’Arménie pour découvrir la pointe ouest : le Palais de Justice.
Ce véritable paquebot, tout en verre, intègre l’idée de la « transparence de la justice », pour Claude Vasconi, l’architecte, qui créé un bâtiment triangulaire pour un quartier à trois côtés. Entre le Palais et le tram B, on admire le contraste du vert des arbres et du gris de l’édifice. Et lorsqu’on atteint l’entrée officielle, on est ébloui : la pointe du Palais répond à la grandiloquence du World Trade Center.
À leur pied, un simple rez-de-chaussée est affublé d’un E blanc sur fond bleu : c’est Pôle Emploi. Il n’est pas encore 8 h 30 que déjà, plusieurs personnes attendent l’ouverture. Face à un tel contraste, on ne peut s’empêcher de penser aux symboliques de l’architecture : les sans-emploi au bas de l’échelle, les autres au sommet.
Une manière de rappeler qu’Europole a été bâti pour ceux qui courent pour se rendre au travail, et pas pour ceux qui courent pour en trouver un.
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