Midi. Sortie de bureau. Pas le temps de rentrer se faire un petit plat à la maison. Un combo entrée-plat-dessert au resto ? Trop long et trop cher. Un passage au supermarché ? Pas très sexy. Un Mac do ? On a promis de dire non à la junk food depuis le 1er janvier. Pour satisfaire la faim qui se fait malgré tout sentir et leur besoin de nouveautés gustatives, les Lyonnais ont succombé à la cuisine de rue. C’est un vrai plébiscite. On ne compte plus le nombre de food-trucks et autres boutiques monoproduits qui fleurissent. Une vague de fond depuis quelques années dans la ville où tout ce qui tourne autour du rond de serviette est à prendre au sérieux. La rédaction passe à table.
Chaque midi c’est le même bal. A l’angle de la rue D’Aguesseau et de la place Raspail, des dizaines de gourmands se ruent du côté de chez Nam. Une procession gourmande à laquelle, Philippe Ho, le fondateur de cette néo-sandwicherie commence à s’habituer depuis son ouverture en 2013. Ici, la spécialité, c’est le Banh Mi, un sandwich franco-vietnamien associant la bonne vieille baguette aux saveurs du Vietnam (porc, poulet mariné, tofu). « De la fraîcheur et des bons produits faciles à manger rapidement sans oublier le goût », résume Philippe.
Philippe cuisine maison avec le hachoir hérité de son père.
En quelques mots, ce pionnier donne les clés du succès de la nouvelle cuisine de rue.
MOINS DE TEMPS
Comment ça ? A Lyon, Capitale auto-proclamée de la gastronomie, (mais néanmoins reconnue comme telle), Saint-Siège de Monsieur Paul, on n’aurait plus le temps de s’asseoir autour d’une table pour le break de mi-journée ? C’est un fait. 22 minutes. C’est la durée moyenne que consacrent les salariés français à leur pause déjeuner selon une étude réalisée par Malakoff Médéric en 2009. Un changement radical quand on sait que dans les années 90, les travailleurs s’attablaient avec plaisir pendant près d’une heure et demie.
« Aujourd’hui on a besoin de vite-fait, bien fait et pas cher. Le service entrée, plat, dessert c’est fini » analyse François Mailhes, journaliste et critique gastronomique.
« Mes déjeuners au restaurant sont réservés aux repas d’affaires ou aux rendez-vous importants », ajoute Michaël, fidèle client de Nam.
L’ennui est aussi un facteur de l’émergence de la nouvelle vague de street food depuis quelques années. « Les gens veulent être acteurs de leurs choix le midi. Ils ne veulent plus être dépendants du menu du jour du restaurant du coin » selon Fanny Uyttebroeck, spécialiste du sujet pour l’agence Geek&Food.
GOÛTS DE VACANCES
Un goût pour la nouveauté qui va de pair avec les envies d’ailleurs des consommateurs. « Avec l’expansion des voyages low-cost, les gens partent plus et découvrent des saveurs qu’ils veulent retrouver en rentrant à Lyon » décrypte François Mailhes. « C’est le goût des vacances » sourit Julien, patron d’Athina, un établissement spécialisé dans la pita grecque. Résultat, depuis quelques années, les food trucks et autres petits établissements se lancent avec un seul produit ou presque à la carte. Au choix, on peut goûter des fallafels chez Yaafa, des croque-monsieurs chez Crock’n’Roll, des mezzés libanais chez Aklé. Une liste non exhaustive à laquelle on n’oubliera pas d’ajouter la myriade de restos à burgers qui ont poussé comme des champignons ces dernières années.
Cette hyper spécialisation de l’offre qui s’explique par la qualité recherchée par les consommateurs. « C’est aussi une tendance qui découle naturellement de l’explosion de la bistronomie depuis dix ans. Les chefs ont montré que l’on pouvait avoir beaucoup de goût avec des produits simples mais bien travaillés » analyse la blogueuse Marjorie Fenestre, plus connue sous le nom de Faim de Lyon.
« Ce n’est pas parce que c’est rapide à manger que je ne suis pas regardante sur la qualité des produits » souligne Sophie, consommatrice de street food au quotidien en raison d’un agenda professionnel qui déborde.
« Autrefois, le terrain de la cuisine sur le pouce était occupé par les industriels du fast food mais aujourd’hui c’est fini. Les consommateurs font attention à ce qu’ils achètent et consomment chez eux, c’est donc normal qu’ils en fassent de même pour le déjeuner » commente Nastasia, cogérante du food-truck Pitakia. Une sorte de revanche de l’artisan sur l’industriel qui se ressent notamment dans les tentatives de renouvellement des cartes et concepts de certains fast food.
MOBILITE ET PERIPHERIE
En matière de street food, la révolution la plus visible a été celle des food-trucks. Même si de rares camionnettes sont présentes depuis quelques années sur les marchés, on constate une véritable explosion du nombre de ces cuisines mobiles.
« Je dirais qu’il y a une bonne quarantaine de food-trucks aujourd’hui. Mais c’est un comptage difficile à établir car il en ouvre et ferme très rapidement », explique Thomas Zimmerman.
Passé par New-York, San Francisco et Hong-Kong, cet ancien de chez Fauchon a senti le vent de la street food arriver et occupe le terrain. Sa spécialité : dénicher les food-trucks à fort potentiel et leur trouver des emplacements sous forme de village. « J’ai voulu reconstituer l’ambiance des night markets de Hong Kong et des food courts américains où l’on peut manger plein de choses différentes au même endroit » raconte-t-il.
Son premier fait d’arme : All we need is truck, un rassemblement de food-trucks organisé en 2014 dans le cadre des Extra de Nuits Sonores. Jackpot ! 5000 visiteurs contre 1000 attendus.
Le succès de cette guinguette branchée lui a permis de décrocher la gestion de l’offre culinaire lors des éditions suivantes du festival. Il fait aussi venir ses camions chouchous avant les matchs devant le flambant neuf Parc OL. De quoi oublier les kebabs et autres saucisses frites douteux que l’on trouvait parfois à Gerland.
Mais la vie des food-trucks n’est pas un long fleuve tranquille. Considérés comme de la concurrence déloyale de la part de certains restaurateurs traditionnels, ils ne trouvent pas facilement d’emplacements en dehors de certains marchés. Ils s’installent alors en périphérie de Lyon. « On est le plus souvent sur des zones commerciales en périphérie mais ça marche tout de même » explique Nastasia. De quoi proposer une nouvelle offre aux salariés. Un mal pour un bien.
Une situation qui pourrait tout de même évoluer. Face à l’engouement de cette néo-restauration, les lignes bougent.
« D’ici fin avril, nous inaugurerons notre premier village de food-trucks permanent entre Gerland et Confluence », confie Thomas Zimmerman avant d’ajouter que d’autres surprises seront à découvrir à la rentrée.
La révolution street food est en marche et visiblement, le marathon n’est pas prêt de se terminer de si tôt.
Crédits photo : Gilles ReboissonVIDÉO
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