Alors qu’octobre annonçait avec douceur l’automne, nous avons comme le pressentiment que novembre va déchaîner la saison, assistant impuissants à la funeste chute des dernières feuilles de nos amis les feuillus. Un décor brumeux, qui va de pair avec cette visite urbaine, aux accents profanes. Par ici l’hostie !
Gloire à l’office
Tant de choses peuvent être moulées : un corps, un cake, et même un urinoir. Pas celui de Marcel Duchamp, qui fit en son temps scandale (celui qu’on vous présente cependant dans ces lignes aurait pu également être scandaleux à l’aube du XXIe siècle vu sa localisation), mais celui de la rue Hébert, juste devant l’école du quartier (cqfd).
Dans son apparat de ciment naturel prompt, vestige de la vie urbaine du XIXe siècle, l’édifice s’érige tel un véritable hôtel destiné à assouvir le besoin pressant.
Prenant son inspiration formelle du côté des échauguettes de l’enceinte du duc de Lesdiguière, l’urinoir moulé est à l’époque, et aujourd’hui encore, une véritable signature pour Grenoble.
Alors que certains sont toujours fonctionnels, celui de la rue Hébert a été reconverti en bac à fleur (c’est plus décent !) duquel les végétaux s’épanouissent librement.
À croire que le pissat est un bon engrais. Ces petites tourelles sont ainsi multi usages : lieu de soulagement, espace de jardinage et d’espoir, inspiration littéraire. Car l’urinoir moulé est « un piédestal qui donne de la noblesse à celui qui officie » pour reprendre les mots de Boris Vian, alors de passage dans la capitale de la noix en 1952.
Psychose masqué
D’office, il est également question dans le bâtiment qui fait face à cette échappatoire, mais dans une toute autre dimension. Construit à la suite de la Révocation de l’Édit de Nantes et terminé en 1685, le temple protestant de Grenoble semble émerger de terre, juste devant le croisement de la rue Hébert et de la rue Joseph Chanrion.
Esthétiquement, la bâtisse est sobre avec des murs clairs, quelques colonnes qui soulignent les angles ainsi que de hautes fenêtres arquées.
Petit détail : les bâtisseurs ont cependant eu la gentillesse de la rendre ludique en inscrivant les chiffres romains de I à X au-dessus de la porte afin de nous instruire. Autre détail : une marque de 1859 est inscrite du côté du soubassement droit du portail.
N’ayant pas trouvé ladite inscription, nous avons envoyé un stagiaire la trouver (il n’est pas encore revenu). Mais lorsque l’on s’éloigne de l’entrée, le temple modeste se transforme en gigantesque demeure hantée, dont les proportions rappellent étrangement la maison de Pyschose. Et si en plus vous y passez au soleil couchant, lorsque la lumière est d’un blanc divin, l’illusion est troublante.
Cygnes emmurés
Trêves d’hallucinations, poursuivons rue Joseph Chanrion. À deux pas d’ici, une autre institution fait de la concurrence au temple : la chapelle Notre-Dame Réconciliatrice.
Réclamé par l’évêque Fava à la fin du XIXe siècle, anciennement missionnaire dans l’océan Indien d’où il ramena un goût prononcé pour l’architecture du coin, le bâtiment présente une façade orientale. Un style décliné sur trois niveaux par l’architecte François Choupin, avec des piliers faits d’arabesques ainsi que des fenêtres à arcs outrepassés, autrement dit plus large que des demi-cercles de fer à cheval.
On est alors en 1876, tandis qu’en 2015, une entrée moderne sur la droite a été réalisée où l’on peut observer de près la partie inférieur d’une fenêtre juste devant la porte (non, il ne s’agit pas d’un banc). On y découvre des cygnes aux ailes déployées, figés dans le ciment.
On ne sait si le même sort a été réservé aux nones qui habitaient alors le couvent, aménagé sur les deux niveaux supérieurs de la chapelle. Fin du blasphème.
Crédits photo : La chapelle Notre-Dame Réconciliatrice
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