On les foule quotidiennement sans leur accorder l’attention qu’ils méritent. On admire le cours des fleuves qu’ils enjambent en oubliant qu’ils sont des destinations à part entière. A croire que quand l’eau coule sous les ponts de la capitale des Gaules, elle efface leurs histoires singulières. Profitons de ce mois durant lequel sauter les ponts est malvenu pour les retracer.
Le doyen
Pour trouver le doyen des ponts lyonnais, il vous faudra remonter la Saône jusqu'aux abords bucoliques de l'île Barbe. C'est à son seuil que se dresse le plus ancien des traits d’union fluviaux à avoir subsisté jusqu'à nous : le pont de l'île Barbe. La première édification de ce pont suspendu en pierres de Couzon remonte à 1827 : en guise de certificat de naissance, il fit l’objet d’une concession à péage valable 98 ans. Quelques années après sa construction, on remplaça ses chaînes métalliques d’origine par un système de câbles qui se révéla salvateur au moment des crues historiques de 1840 et 1856. Si le péage a disparu en 1885 (au rachat du pont par le Département), ses câbles toujours modernes après 150 ans ont résisté aux courants architecturaux pour parvenir jusqu’à nous. Et rompre l’isolement de cette île qui abritait l’une des plus grandes abbayes de la région. Coïncidence heureuse, le deuxième pont le plus ancien de la ville ne se trouve qu’à quelques ménadres de là et lui ressemble comme deux gouttes d’eau : il s’agit du pont Masarik, érigé en 1832.
Le dandy
Le pont de l'Université, qui relie le quai Claude Bernard à la place Gailleton fait partie de ces Papas-Longues-Jambes délicatement ouvragés qui subliment le cours du Rhône. Ses 267 mètres de palmes académiques, lampadaires rétros et autres blasons de la République Française ont été inaugurés en 1903 pour remplacer le bac qui desservait les bâtiments universitaires. Ils révèlent toutefois une étrange asymétrie : avez-vous remarqué le lampadaire esseulé qui projette une lumière de polar sur l’un des côtés du pont ? Il s’agit d’un test mis en place il y a une dizaine années par le service de l’éclairage de la ville de Lyon, sans que l’on en connaisse encore l’issue. Une énigme qui vient s’ajouter à une anecdote meurtrière non encore résolue : c’est à l’emplacement de ce pont que l’empereur Gratien (qui a donné son nom à Grenoble, Gratianopolis) aurait été assassiné en 383. Les plus curieux s'attarderont aussi sur les élégantes festonneries qui ornent ses somptueuses balustres vert bouteille : elles veillent sur la promenade de bois qui longe la piscine du Rhône et vous mènera à d'autres édifices fluviaux tout aussi coquets, du moins jusqu’au Pont Morand. A l'origine aussi élégant que pont Lafayette et ses piles statufiées, ce dernier a fait les frais des exigences liées au tracé de la ligne A du métro. Pour réduire les coûts d’un passage en dessous du fleuve, les autorités ont en effet décidé de faire passer le métro... sur le pont! D'où son épaisseur quelque peu surprenante, qui offre néanmoins une vue privilégiée sur l'enfilade de ponts la plus esthétique du Rhône.
Le disparu
Profitez d'une promenade dans le pittoresque quartier d'Ainay pour découvrir l'une de ses arches disparues : c'est en empruntant la promenade pavée bordée de saules (plantés pour résorber les crues) entre le pont Kitchener Marchand et la passerelle Saint-Georges que se révèleront à vous les vestiges du Pont d'Ainay. Jouant de malchance, il fut dynamité une première fois en 1793 avec les munitions de l’Arsenal (situé sur l’actuel Quai Tilsitt) lors du siège de la ville par les insurgés. Comble de l’infortune, les habitants se joignirent à sa destruction en récupérant les débris de sa charpente en bois pour leur usage personnel. Reconstruit et rénové façon phénix au cours du XIXe siècle, les bombardements de 1944 n'auront laissé de lui que ses culées d’origine, assorties aujourd'hui de plaques commémoratives et d'un panorama romantique sur la passerelle Saint-Georges. Une fois sur les quais, poussez votre marche jusqu'au pont Kitchener Marchand pour y observer les statues allégoriques du Rhône et de la Saône. Un couple alangui qui contraste fort avec la circulation intense que supporte l'ouvrage et qui classe définitivement les ponts lyonnais au nombre des chefs d'œuvres esthétiques et architecturaux de la capitale des Gaules. A ce propos, saviez-vous que l'évolution du territoire fait que la zone où Saône et Rhône confluent se déplace au fil des siècles ? Au XVIIIe, il était situé à la hauteur du pont d'Ainay. Les travaux progressifs d’aménagement de Perrache le firent reculer jusqu’au lieu qu’on lui connaît aujourd’hui.
Crédits photo : Raphaelle PoyetInfos pratiques
Pont de l’île Barbe, quai Clémenceau, Lyon 9e Pont de l’Université, quai Claude Bernard, Lyon 7e Vestiges du pont d’Ainay, quai Tilsitt, Lyon 2e
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