La Grande rue de la Croix-Rousse, l’une des rues les plus commerçantes du quartier du même nom, est aussi célèbre pour ses façades d'époque que pour la quantité de chalands se bousculant sur ses trottoirs. Rares, toutefois, sont ceux qui ont visité l’extraordinaire jardin Rosa-Mir, caché derrière les devantures et balcons.
Au numéro 87 de la Grande rue de la Croix-Rousse, on découvre un passage… Une plaque « patrimoine du XXe siècle » du ministère de la Culture semble annoncer quelque curiosité. On s’avance, monte une légère côte jusqu'à un portail en fer ne laissant rien deviner d’extravagant. Un panneau indiquant les heures d’ouverture et barrant l'accès aux chiens renforce cette impression. Quand soudain au bout de l’allée on tombe nez à nez avec un jardin hors du commun, comme coincé entre les immeubles : le jardin Rosa-Mir. COQUILLAGES ET CRUSTACES D'une surface de 400 m², celui-ci condense une fantaisie minérale et végétale incroyable. Coquillages, roses des sables, pierres d’ici et d’ailleurs, coquilles d’escargots habillent les colonnes, murs et autres vasques du jardin au milieu de plantes et fleurs printanières (rosiers anciens, muguets, fougères…). De la terrasse, on admire la composition du jardin, sa structure géométrique, les vasques d’où débordent les plantes grasses, l’entrelacement de cette flore luxuriante et de la pierre multicolore. On ne peut s’empêcher de penser au jardin du Palais Idéal du Facteur Cheval ou encore à l’impressionnant parc Güell à Barcelone. La référence à Gaudí semble d’autant plus justifiée que Jules Senis, celui à qui l’on doit la création de ce jardin, maçon-carreleur d’origine espagnole, avait travaillé dans sa jeunesse sur les chantiers barcelonais de l’architecte catalan. Loin de la pâle copie, on visite là une œuvre personnelle et poétique. UN JULES VERNI Ce jardin extraordinaire a donc été créé par Jules Senis, un homme qui survécut à la Guerre d'Espagne de la fin des années 30 en gagnant la France pour se voir diagnostiquer une vingtaine d'années plus tard un cancer de la gorge. A l'époque, ses chances de survie sont maigres. Il finit pourtant par quitter l’hôpital guéri et fait alors le vœu de créer un jardin dédié à sa mère Rosa Mir Mercader, ainsi qu'à la vierge Marie. Pendant près de vingt-cinq ans, de la fin des années 50 à sa mort, en 1983, il mettra tout en œuvre pour donner vie au jardin dont il a rêvé. Il l'aménage dans la cour intérieure de son immeuble, grande rue de la Croix-Rousse. Il commence par les murs qu’il recouvre de pierres saillantes et de coquillages qu’il entremêle, créant des contrastes de couleurs et des motifs. Puis il érige des colonnes et des traverses, ajuste des vasques, plante des rosiers anciens, des plantes grimpantes et toute une végétation d'ordinaire rencontrée sous des climats plus méditerranéens. Tout cela en se considérant plus comme un artisan que comme un artiste, coquillage par coquillage, galet par galet. La technique, il la tient de son expérience de maçon-carreleur, tout comme son sens esthétique. Jules Senis voyageait peu. Si l’on peut reconnaître quelques galets du Rhône, quelques autres des monts du Lyonnais, ce sont ses amis et sa famille qui lui ont ramené des quatre coins du monde des coraux, roses des sables, coquillages, pierres aux formes singulières… Sa petite voisine lui a même donné une de ces sculptures qu’on fabrique à l’école avec du ciment et des coquillages : Jules Senis l’a intégrée à la sculpture centrale, elle-même constituée de trois pierres aux formes étonnantes. Car s’il y a une chose qui impressionne dans ce petit jardin, c’est le sens du détail de Jules Senis et l’histoire singulière dont chaque objet qui compose cette œuvre à ciel ouvert est porteur, jardin trop méconnu qui invite à la rêverie et à un voyage immobile. Sachez pour finir qu'en 1983, peu avant la mort de Jules Senis, ses amis regroupés en association ont sauvé le jardin d’un projet de destruction et ont convaincu la Ville de Lyon d’acquérir les lieux. Depuis 1987, le jardin Rosa-Mir est inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.Crédits photo : Marie SignoretInfos pratiques
Jardin Rosa-Mir, 87 grande rue de la Croix Rousse, Lyon 4ème. Entrée libre tous les samedis de 15 à 18 heures d’avril à novembre. Des visites commentées peuvent être programmées sur réservation.
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