Du neuf au sujet du Musée Champollion de Vif : toujours en chantier, l’établissement a reçu la visite d’élus conduits par Jean-Pierre Barbier, président du Conseil départemental de l’Isère, venu annoncer une ouverture possible le 29 mai prochain. Nous étions là aussi pour en savoir plus. Martin de Kerimel
Impossible d’y échapper : à l’entrée du vaste domaine qui accueillera bientôt le Musée Champollion, une pancarte signalait encore, jeudi 25 février, une livraison du bâtiment… au printemps 2020 ! La crise sanitaire est passée par là et a retardé le chantier de ce qui sera prochainement le onzième Musée du Département de l’Isère.
Vous êtes impatients de le visiter et de mieux connaître le parcours de Jean-François Champollion, qui déchiffra les hiéroglyphes de l’Égypte antique en 1822 ? Ce devrait être possible dans un peu plus de trois mois. En fixant au 29 mai la date d’ouverture au public, le président du Conseil départemental de l’Isère est resté prudent derrière son masque et a aussitôt précisé que cette échéance serait tenue si les conditions sanitaires le permettaient. En réponse à l’une de nos consœurs, il s’est fait une joie de préciser que l’accès au Musée serait gratuit pour tout le monde, que ce soit pour l’exposition permanente ou les expositions temporaires qui rythmeront la vie de ce nouvel établissement.
Une longue histoire à raconter
Pour l’heure, le chantier est encore en cours, mais le plus gros du travail est achevé. Au total, pas moins de 18 entreprises ont collaboré sur l’architecture et la scénographie, pour un coût total de 6,3 millions d’euros (sensiblement supérieur à celui qui était envisagé dans un premier temps : 4,6 millions).
« L’État subventionne le projet au titre du patrimoine protégé (367 000 euros) et la Ville de Vif participe au financement des aménagements paysagers du parc (62 000 euros) », indique un communiqué. Menée sous la conduite de Caroline Dugand, conservatrice du Musée, et de Gaël Robin, architecte du patrimoine, la visite nous a permis de croiser des ouvriers et artisans passionnés, fiers d’avoir participé à la nouvelle naissance d’une demeure qui avait déjà connu trois phases d’agrandissement au cours des siècles.
Si Jean-François Champollion, le déchiffreur des hiéroglyphes, l’a fréquentée, c’est parce qu’elle appartenait d’abord à la belle-famille de son frère aîné, Jacques-Joseph. Des descendants Champollion y vivaient encore récemment : le Département de l’Isère ne s’en est portée acquéreur qu’en 2001.
Menée de A à Z (ou disons à Y, pour le moment), la restauration et transformation de ce bâti ancien n’a pas été qu’une partie de plaisir. En cause notamment : les nombreuses contraintes techniques imposées à une structure prévue pour l’accueil d’œuvres d’art et d’objets précieux destinés à être exposés.
Les équipes ont aussi dû démontrer une certaine capacité d’adaptation à l’imprévu. Exemple frappant : sous les boiseries anciennes de l’une des salles du premier étage de la maison de maître, on a découvert de somptueuses fresques ! Les frères Champollion, eux, ne les auront probablement jamais vues, mais il a été décidé qu’elles feraient l’objet d’une restauration (limitée à l’un des quatre murs pour l’instant). On ose croire que ces merveilles ne dépareront pas parmi les pièces bientôt exposées.
Interview
Caroline Dugand, conservatrice du Musée Champollion : « Nous allons passer à une phase concrète »
L’équipe du Musée Champollion va désormais s’installer en ses murs. Comment cela va-t-il se passer ?
Cela va représenter un grand changement pour nous ! Jusqu’à présent, nous préparions le projet scientifique et culturel, autour des demandes de prêt d’œuvres et de la restauration de certaines d’entre elles, ainsi que l’installation de la muséographie. Nous allons désormais passer à une phase concrète, en nous installant dans nos bureaux. Il faut faire revenir sur site le fonds Champollion, actuellement dans des réserves externalisées, sortir les œuvres des conditionnements où elles attendent depuis plusieurs années pour les préparer à l’accrochage dans le musée. Il faut également accueillir les dépôts des autres musées, en coordonnant l’arrivée des œuvres et en organisant un planning des taches pour leur installation.
Un travail à mener dans une maison qui ne sera pas strictement identique à celle que les frères Champollion ont connue…
En effet. Le bâtiment est ici classé au titre des monuments historiques. Il a fallu trouver un équilibre entre la conservation de ce monument et l’adaptation du site aux conditions requises pour un musée moderne, en termes d’accessibilité, de sécurité et de circulation dans les espaces. Nous avons décidé de préserver l’atmosphère de cette maison des champs. Et le chantier nous a conduits à de belles découvertes…
Que sait-on aujourd’hui de la notoriété locale des frères Champollion, à leur époque ?
Ils avaient des origines dauphinoises : leur père était un colporteur du Valbonnais. Ils sont tous deux nés à Figeac, dans le Lot, et sont revenus à Grenoble à l’âge adulte. Ils y ont très vite noué des liens et ont acquis une notoriété importante. Jacques-Joseph, le frère aîné, avait douze ans de plus que Jean-François : il l’a introduit auprès de personnes importantes. Lui-même était marié à Zoé Berriat, la fille d’une famille solidement implantée dans le Dauphiné. Le père Berriat, Pierre, était propriétaire de la maison : voilà comment on en arrive à Vif !
J’ai entendu dire que l’égyptologie, naissante au début du 19e siècle, était aussi une histoire de rivalité entre nations, Angleterre d’un côté, France de l’autre. Vous confirmez ?
Tout à fait. La course au déchiffrement de hiéroglyphes a généré une émulation. L’expédition d’Egypte menée par Bonaparte a fasciné tous les Européens. Les frères Champollion sont nés après la Révolution, à l’époque où est apparue la notion d’égyptomanie. Je crois que ce concept a même infusé dans les classes populaires ! Nous voulons consacrer le musée à l’égyptologie, parce que nous considérons que les frères Champollion ont eu un apport fondamental dans la naissance de cette discipline.
Vous allez exposer des objets vous appartenant, d’autres venus d’autres musées comme le Louvre. Est-il utopique d’espérer voir à Vif la Pierre de Rosette, qui permit à Jean-François Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes ?
Ce serait un grand défi que de l’obtenir ! Dans le fonds Champollion, nous en avons des estampages originaux, sur lesquels Jean-François Champollion a travaillés. L’un est même annoté de sa main ! Il existe aussi des reproductions, qu’il se faisait envoyer pour travailler. La Pierre, à l’époque, était déjà conservée à Londres.
Allez-vous jouer avec l’idée de mystère que l’Égypte antique suggère encore aujourd’hui ?
Oui, nous pourrons sans doute exploiter certains aspects que le grand public trouve mystérieux. C’est vrai que certains sujets fascinent toujours les visiteurs. L’objet de nos expositions temporaires sera de pouvoir renouveler le propos sur l’histoire de la discipline égyptologique, mais aussi sur la recherche, en montrant ce qu’elle est encore aujourd’hui et, dans une dimension pluridisciplinaire, ce qui subsiste des grands questionnements…
Interview
Gaël Robin, architecte du patrimoine : « La chose la plus importante est de restaurer les savoir-faire »
Quand le découvreur des hiéroglyphes est accueilli dans cette maison, au début du 19e siècle, il s’agit d’une maison modeste…
En effet : au départ, c’est une belle maison des champs, très ouverte sur le paysage, qui a été agrandie successivement au 17e, au 18e et au 19e siècles. Elle a appartenu à la famille de Zoé Berriat, qui l’a apportée en dot à Jacques-Joseph Champollion, le frère de Jean-François. Ce dernier y a occupé une petite chambre au deuxième étage, n’atteignant pas les 10 m², en-deçà même des normes d’habitabilité d’aujourd’hui !
Comment l’avez-vous appréhendée, la première fois que vous l’avez découverte ?
Elle n’était pas telle qu’on la voit aujourd’hui : au 19e siècle, elle avait continué à vivre après le décès de Zoé Berriat et Jacques-Joseph Champollion. Leurs descendants l’habitaient encore récemment ! Elle était alors « enfermée » derrière des enduits en ciment et avait sans doute perdu une partie de son cachet d’origine. Notre travail de restauration a consisté à retrouver les éléments remarquables dignes d’être remis en valeur. Nous l’avons surtout appréhendée dans son rapport avec le paysage environnant. C’est un bâtiment très organisé, avec une maison de maître, des cours, des fermes… et qui donne sur un jardin paysager, lui-même encadré par le Vercors d’un côté et la chaîne de Belledone dans le lointain.
Cette maison était-elle un lieu de travail pour les frères Champollion ?
Non. Ils habitaient également Grenoble et venaient ici en vacances ou pour passer les week-ends. Ce n’était pas leur résidence principale, mais plutôt un lieu de villégiature.
Concevoir un musée, ce n’est pas reproduire à l’identique ce qui existait du temps des frères Champollion…
Non. Lors du chantier, nous avons fait des découvertes remarquables que l’on ne pouvait masquer au public : les fresques du premier étage sont extraordinaires, même si, parce qu’elles étaient enfermées derrière des boiseries, il est possible que les Champollion ne les aient jamais vues. Quand on restaure une maison comme celle-ci, il faut montrer la quintessence de tous ces éléments remarquables.
L’architecture moderne vous semble-t-elle capable de tout restaurer ?
Dans le domaine du patrimoine, la chose la plus importante est de restaurer les savoir-faire. Nous avons ici la chance de compter sur 18 entreprises, toutes très compétentes, avec lesquelles nous réalisons des merveilles. Au-delà des sociétés de restauration, de maçonnerie, de charpenterie ou de couverture, toutes classifiées monuments historiques, nous en avons d’autres, locales, qui ont su intégrer une technique d’une complexité incroyable pour pouvoir préserver la maison. Elles travaillent comme des artistes, de la même manière que celles et ceux qui restaurent les peintures murales du premier étage.
Êtes-vous fier d’avoir travaillé sur un tel projet ?
Oui, c’est certain. Ma plus grande fierté est que tout fonctionne bien et que, le 29 mai, jour de l’inauguration, on dispose d’un musée en état de marche et qui puisse durer longtemps ! L’égyptologie ? C’est pour moi une vraie découverte. Nous avions évidemment vu quelques pièces bientôt exposées, pour apprécier l’impact de ce que nous devions réaliser. C’est justement ce qui est extraordinaire dans nos métiers : on découvre sans cesse de nouvelles histoires de familles, des sciences… Se plonger dans tous ces mondes est vraiment passionnant.
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