Dans la seconde partie du XXe, le jardin du château de Sassenage souffre des assauts du temps. Des travaux de restauration, engagés de 2015 à 2019, lui ont redonné de sa superbe. Ils ont offert quelques belles surprises aux deux architectes chargés du chantier, notamment la découverte de ruines gallo-romaines oubliées et celle d’un pionnier de la photographie de jardins.
Quand on arpente les allées du parc du château de Sassenage, aucun signe, aucune trace ne révèle la réalisation récente de travaux. Pas de tranchés, pas de blessure dans le paysage, pas de parcelle de terre fraîche où quelques jeunes pousses de gazon peinent à verdir le paysage.
La nature a repris pleinement ses droits comme on dit, un peu surveillée par l’Homme tout de même, mais on est loin du jardin classique dans lequel l’arbre est contenu. Ici, il peut s’exprimer de manière libre et sauvage.
C’est une des caractéristiques de ce parc, représentatif de l’art des jardins en Dauphiné. Il est empreint de trois styles majeurs : le jardin à la française du XVIIe siècle avec ses perfections formelles, le jardin anglo-chinois de la fin du XVIIIe siècle avec son désordre apparent et ses micro-univers, et le parc paysager des années 1850, boisé et clôturé.
C’est lors de cette dernière période que le parc commence son lent déclin : « disparition partielle des cheminements, comblement des rivières et canaux, envahissement par la végétation spontanée, déplacement des boisements ou encore chute d’arbres dues aux tempêtes à répétition. Les qualités propres à chacune des trois phases d’aménagement du parc – à la française, anglo-chinois et paysager – tendent à s’effacer, provoquant des difficultés à lire son épaisseur historique et artistique, » apprend-t-on dans le livre de Jérémie Curt et de Jérémy Dupanloup, les deux architectes en charge des travaux de 2015 à 2019.
Cet état des lieux a été réalisé en préambule du chantier et justifiait la restauration d’envergure lancée par la Fondation de France, à qui la dernière marquise du château, Pierrette-Elisa de Bérenger, a légué le château et une partie de sa fortune avant de mourir, en 1971.
Recherches dans les archives…
Avant de commencer les travaux, les deux architectes et maîtres d’ouvrage se plongent naturellement dans les archives du château afin de déterminer un état de référence, c’est à dire l’aspect du parc que l’on cherche à reconstituer. « On connaissait très peu de choses sur le jardin » raconte Jérémy Dupanloup, spécialiste de l’étude et de la restauration des jardins anciens. « Avec Jérémie Curt, nous avons fait une série d’études sur place dans les archives familiales mais aussi dans les archives nationales et départementales. Nous cherchions des documents sur les différents travaux qui ont été réalisés. Des commandes, des devis, des factures et des courriers. »
Les cartes postales et photos aériennes et terrestres servent aussi de bases documentaires pour dresser un historique complet du parc, avec ses aménagements et ses plantations. Les deux maîtres d’ouvrage découvrent alors dans les archives du château des photos précieuses pour enrichir leurs connaissances et pour le moins intrigantes.
« Ces photos de plantations prises en 1850 étaient inédites pour l’époque », estime Jérémie Curt, historien et jardinier. Les architectes apprennent que les clichés ont été réalisés par le marquis de Sassenage, Raymond-Ismidon-Marie de Bérenger. Passionné de jardins et d’horticulture, mais aussi de photos, il est à l’époque l’élève du grand photographe français Gustave Le Gray. Le marquis capture dès 1853 son quotidien et réalise une centaine de prises de vues de sa famille, du château, du parc et des paysages environnants. Il perfectionne sa pratique chez lui mais aussi dans d’autres parcs en France. Cet ensemble, conservé au château, constitue un fonds d’archives exceptionnel pour l’étude de la transformation des jardins au milieu du XIXe siècle.
… et sous la terre
L’autre travail des maîtres d’œuvre a consisté à dresser un état des lieux complet du parc et à organiser les fouilles d’archéologie préventives. « Dans ce parc fréquenté par le public et loué pour des événements, il n’était pas question de décaper le terrain. La technique utilisée a été celle de la prospection géoélectrique. L’envoi d’électricité permet de mesurer la résistivité du sous-sol et d’en déduire les variations de dureté et de matériaux », explique Jérémy Dupanloup.
Cette technique préservant le sol et les arbres a permis d’apporter un complément d’information significatif en mettant en évidence, à la surprise générale, l’existence d’une villa gallo-romaine. « On savait qu’il y avait eu une implantation gallo-romaine à Sassenage mais on ne la connaissait pas. Là c’était la grosse nouveauté archéologique ».
Plusieurs édifices et aménagements sont identifiés : un bâtiment thermal sur cour, doté d’un péristyle et de terrasses, était constitué d’une série de pièces carrées disposées en enfilade dans lesquelles les habitants prenaient des bains chauds et froids et pratiquaient des exercices physiques. Un hypocauste, système de chauffage, était utilisé par les Romains pour maintenir les pièces et les bains à température.
Cet ensemble est malheureusement invisible mais pourrait faire l’objet de fouilles plus complètes ultérieurement. Mais les visiteurs pourront largement se satisfaire de ce parc entièrement rénové, avec la plantation de plus de 5500 végétaux, dont 150 arbres et 2200 arbustes. Ainsi le parc du château de Sassenage a retrouvé le rythme saisonnier d’un jardin.
Le jardin du château du Touvet
Niché sur les flancs de la Chartreuse, avec une vue superbe sur la chaîne de Belledonne, le jardin du château du Touvet est plein de surprises : on se perd dans les parties forestières et on se laisse envoûter par l’eau qui dévale une volée d’escaliers !
C’est tout simplement l’un des plus beaux jardins du département. Lorsque l’on chemine en direction du château, sous les ramures d’une majestueuse allée d’arbres, on est d’abord surpris par la robustesse et la beauté de la bâtisse, monument historique datant du XIIIe siècle. Elle est précédée par deux tours de garde élégante, et un bassin. C’est alors que la vue se dégage sur le jardin à droite. On découvre l’étendue merveilleuse du jardin à la française qui date lui du XVIIIe siècle. Il étend son faste sur 5 ha, entre haies bien découpées, sous-bois jardiné à l’anglaise et prairie champêtre. Surtout, on y découvre le joyau des lieux : un escalier d’eau. Cette curieuse construction est unique en France.
Il faut atteindre le sommet de la structure afin de mieux la comprendre. La fontaine est alimentée par des sources de montagnes, dont un torrent (avec un débit imposant) qui jaillit de la roche. L’eau est canalisée afin qu’elle se déverse sur l’escalier central. Il est encadré par des plates bandes habillées de fontaines et de vasques, jusqu’à se jeter dans la douve du château. L’eau y alterne entre le calme plat des bassins et le bouillonnement à chaque marche du long escalier. En fond, la chaîne de Belledone se détache par sa blancheur.
Ce travail d’orfèvres demande un entretien constant pour préserver les pierres de l’escalier, mais aussi pour ajuster au mieux le débit de l’eau qui fluctue selon le climat. Cette partie, la plus impressionnante, n’est pourtant que la face émergée de ce jardin qui cache bien d’autres espaces aménagés. Cette mise en scène totale a permis au jardin d’accéder au label « jardin remarquable », l’un des cinq de ce type en Isère.
Crédits photo : Jérémy Tronc
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