La métropole grenobloise perd peu à peu ses terres agricoles. Alors pour nourrir tous les estomacs avides de produits issus de l’agriculture biologique, ou de légumes, viandes et poissons produits localement, les maraîchers viennent de toute l’Isère et des départements proches. De Fontaine à Échirolles en passant par Grenoble, allons à la rencontre de ces paysans, parfois dépassés par la forte hausse de fréquentation des marchés, peuplés de citadins souhaitant consommer plus intelligemment.
Le noir du ciel nocturne se teinte, peu à peu, de bleu. Il contraste encore avec l’orange des lumières de l’éclairage public qui permet aux maraîchers de l’agglomération de disposer leurs étals sur le marché de l’Estacade.
Nous sommes mardi matin, il est un peu moins de 7 h, et le bal des camions noir et blanc est achevé. Tous les producteurs déballent leurs marchandises entassées dans des caisses, en provenance des terres iséroises, et un grillon les accompagne avec son chant lors de leur installation.
Il y a Marie-Claude, dont les tomates poussent du côté de Saint-Marcellin. Elle vient - accompagnée de son gros chien pataud nommé Altone - depuis 18 ans et se trouve à la même place toute la semaine. Ses yeux sont soulignés d’un trait noir comme ses cheveux de jais.
« Je suis productrice et je vends ici tous les jours. Mais j’insiste, je suis aussi productrice », revendique-t-elle. Son voisin, Alain, se tient sur une canne. Lui, il ne vient qu’une fois par semaine « car le reste du temps, il faut bien travailler la terre ».
Les producteurs travailleurs
Ce double travail, c’est ce que recherchent les consommateurs. Cela leur donne l’assurance d’avoir des produits moins ou non traités et à l’empreinte carbone basse. C’est le job rêvé - mais épuisant - que Marie-Claude a embrassé avec son mari.
Pour participer au marché, elle se lève, comme les autres producteurs, autour de 4 h 30. Il faut alors empaqueter les produits récoltés la veille et charger le camion. Puis elle s’occupe de la vente, et des centaines de clients qui défilent devant ses étals. Cette période de fin d’été, le repos n’a pas de place dans son emploi du temps.
Quand elle revient de Grenoble autour de 12 h 30, elle s’attèle à la récolte des légumes pour le marché suivant. Le week-end, les rôles s’inversent et son mari se rend au marché tandis qu’elle reste sur l’exploitation. D’autres marchés visités sont sur la même ligne matinale. Ainsi, Sandra a le même rythme. Elle embarque à 4 h de Savoie pour le marché Hoche, place André Malraux. Elle fabrique des fromages de brebis et vient tôt pour attraper le premier client qui débarque à 6 h 30.
En revanche, à Europole, un marché d’après-midi, le rythme n’a rien à voir. Fabienne, qui transforme des plantes en gelées et liqueurs, a pu partir à midi pour être dans les temps à l’ouverture. Elle finira à 20 h, puis déchargera le camion le lendemain.
Toutes les trois font partie de cette vague de producteurs que la métropole de Grenoble, comme la Ville, essaye de mettre en avant sur leur site web ou par des prospectus. Toutes travaillent hors de la métropole, mais viennent enrichir l’offre de marchés, qui est importante sur le territoire métropolitain.
Cette profusion n’est pas suffisante pour Philippe, maraîcher à Hoche. Quand on le rencontre, il constate que plusieurs stands sont vides. « Ça pose un problème, il faudrait qu’il y ait assez de produits locaux pour tout le monde », explique-t-il. Mais visiblement, la production n’est pas suffisante. Il s’intéresse aux chiffres des importations de fruits et légumes et pointe « un problème d’importance, car 50 % des fruits et légumes en France sont importés », rebondit-il.
« À Grenoble comme ailleurs, on est loin de la sécurité alimentaire, c’est-à-dire des habitants nourris seulement avec des produits locaux. Il y a encore de nombreux camions qui entrent pour fournir la ville tous les jours. »
Philippe rêve d’une explosion de la production locale, qui nécessiterait une volonté politique plus importante. En attendant, la Métropole compte 59 marchés, dont 25 rassemblent des producteurs locaux et 15 marchés bio. Parmi eux, le marché d’Europole, ouvert de 15 h 30 à 19 h, fête ses dix ans.
Tensions et entraide de marché
Il est 17 h. Le soleil oblique se reflète dans les baies vitrées des bâtiments qui font face au marché. Sous les hauts arbres, les petits barnums sont disposés, presque comme un village, sur la place. Le poisson, la viande emballée sous vide et les plantes sont présents, et tout est bio.
Ainsi, la plupart des producteurs rencontrés viennent d’un peu plus loin que les frontières administratives arbitraires pour écouler leur production. Ces marchés ont tellement de succès que, parfois, une tension entre producteurs et revendeurs (qui ne pratiquent pas les mêmes prix) peut apparaître - les uns se sentant spoliés par les autres.
« À chaque fois qu’il s’agit de remplacer un producteur, les discussions sont un peu tendues », euphémise Fabienne, productrice de plantes, dont le stand est posé du côté de la gare, à Europole. Le combat est partagé à Hoche. « C’est contre le remplacement des producteurs par des revendeurs que nous nous battons ici », assure Pierre Guillet-Revol, le président de l’association du marché.
En dehors de cela, l’ambiance de marché est idéale. Les producteurs se connaissent bien et échangent les bonjours et les coups de main. Par exemple, mardi matin, Marie-Claude est embêtée. Il est à peine 7 h et voilà déjà un couple qui prend d’assaut ses tomates, mais elle n’a pas encore déballé tout le matériel.
Elle fonce voir Alain pour lui taxer sa balance, peser un kilo de tomate, et boucler la première transaction de la journée. Transaction écoresponsable, s’il vous plaît, puisque la femme tend un sac plastique rouge à Marie-Claude pour emporter les fruits. Depuis plusieurs mois, les maraîchers accompagnent ce mouvement de fond. Ramener son contenant, quel qu’il soit est devenu une norme un peu partout.
La réussite maraîchère
Europole est un bon exemple. Le marché attire une population qui sort du travail. Il y a de tout, depuis les businessmen des immeubles vitrés aux ingénieurs de la presqu’île, tout de fluo vêtu, en vélo équipé de sacoches. Ce sont surtout des habitués, parfois jeunes, qui fréquentent les marchés et qui savent ce qu’ils veulent.
Comme Ophélie, casque de vélo sur la tête, qui revient du CEA où elle travaille. Elle se sert avec sa bouteille en verre dans la yaourtière. « C’est devenu normal de venir avec ses contenants, ça permet de grosses économies de plastique », assure-t-elle, enfourchant son vélo avant de rentrer chez elle.
Sur les autres marchés, le système est identique et les clients sont nombreux, comme Ophélie, à ramener leur matériel : « les gens viennent même avec leur papier pour prendre des fromages frais », remarque Sandra, à Hoche, qui dispose à côté d’elle de nombreux pots de verre qu’elle utilise pour les fromages comme la fêta. Venir avec son pot et ses Tupperware est devenu une nouvelle caractéristique de ce consommateur responsable, à la recherche de produits bio et locaux. Depuis son stand de plantes,
Fabienne observe les va-et-vient de la foule. « C’est amusant, parfois, d’observer les clients. On les voit arriver et ils restent maximum 30 minutes. Et puis ils repartent les sacs pleins. » À Hoche, c’est la même chose.
Sauf que pour Sandra, le marché fonctionne tellement qu’elle est un peu gênée de se retrouver derrière un étal vide. Elle s’est fait dévaliser par ses clients dès tôt le matin pour ses nombreux fromages de brebis — tomme ou bleu. Philippe, qui se trouve de l’autre côté de la place André-Malraux, est aussi face à une montagne de cagettes vides, qu’il remballe dans son camion.
Tous les samedis, à Hoche comme ailleurs, la pénurie de produits locaux marque la grande vitalité des marchés bio et locaux. Une trop grande vitalité pour certains, qui craignent justement que la production ne suffise pas.
Ainsi le GAEC du Thicaud à Herbeys (ferme de production et de transformation laitière et charcutière en agriculture biologique) a pris la décision de retirer ses produits dans les magasins bio de l’agglomération et de concentrer ses ventes sur les marchés où il n’arrivait plus à satisfaire tous ses clients. Il reste que ce mouvement de fond ne va pas se démentir dans les années à venir.
Marie-Claude le reconnaît. Elle va écouler 250 kg de tomate par semaine. Puis ce sera les poireaux. « C’est à chaque fois la même chose », assure-t-elle. Elle repart les caisses (en plastique) vides, mais les poches pleines, autour de 13 h 30. L’heure où le marché se termine et où les camions de nettoyage entrent en action. Marie-Claude n’a pas les yeux cernés, elle a l’habitude de ce rythme. Et elle ne veut rien faire d’autre que faire pousser, puis se rendre au marché. Un labeur chaque jour récompensé.
Quelques marchés de producteurs locaux
> Europole, le marché bio d’après-midi
Le jeudi
Sur la place Firmin Gautier, de 15h30 à 19h.
> Hoche
Le samedi
Sur la place André-Malraux, de 7h à 13h30.
> Échirolles, pour les producteurs
Le samedi
A la Halle du Vieux Village, de 8h à 13h30
> Sassenage, marché bio
Le dimanche
A Bourg Village, de 7h à 13h30.
> Fontaine
Le mardi, jeudi, samedi et dimanche
Au Mail Marcel Cachin, de 7h à 13h.
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