Presque invisible, cette place a été créée dans les années 80 autour des rues du Pont-Saint-Jaime, de Lorraine et Abel-Servien, en détruisant l’habitat insalubre qui tenait le pavé. Aujourd’hui, elle accueille un curieux petit pont qui raconte un morceau d’histoire de la Ville.
Difficile de croire que 10 siècles plus tôt, le quartier de la rue Chenoise (qui est en cours de rénovation aujourd’hui) formait une île coincée entre l’Isère, le ruisseau Verderet (lire notre article le concernant) et de profonds fossés. Pour retrouver la trace de cette île perdue, il faut prendre une discrète rue perpendiculaire : la rue du Pont-Saint-Jaime. Haute et étroite, elle mène à la place Lavalette et conserve des traces de l’histoire, à commencer par son nom.
Successivement, elle s’appelle rue de l’Isle (logique, la rue Chenoise s’appelait rue de l’Île aux moines autour de l’an 1000), puis ce fut rue Saint-Jacques : encore logique, un hôpital éponyme fut fondé au XIVe siècle par le riche Florentin Jacques de Die. On l’imagine au n° 4 de la rue, ou au croisement des rues Pont-Saint-Jaime/Lorraine. Enfin, la rue prit son nom actuel puisque jusqu’au XXe siècle, elle enjambe le Verderet un ruisseau recouvert depuis.
Il ne subsiste rien du pont que la rue franchissait, mais d’autres restes médiévaux sont bien visibles. La tour de Sassenage, à droite de la rue, construite vers l’an 1000, est l’exemple de la puissance médiévale de la famille Chaulnais, l’une des plus riches de la région.
À son niveau, l’on débouche sur la rue de Lorraine, et à gauche, on tombe sur l’actuelle entrée de la « place sans nom » — un tunnel créé sous le bâtiment permet d’y accéder. C’est ici que Rachid a grandi. « Dans les années 1970 et 80, on a connu ce quartier avec mes cousins. Je me souviens du chiffonnier, qui avait un petit local de la rue du Pont-Saint-Jaime. » Il poursuit, en désignant la terrasse du Caffè Forté, « il y avait des bâtiments ici. Et puis le quartier était rempli de cafés et de bars où se retrouvaient les Maghrébins, qui ont presque tous disparu. Les Italiens étaient un peu plus loin, dans la rue. » Aujourd’hui, il n’y a plus de cafés, mais une place est née, suite à la destruction et la reconstruction d’une partie du quartier dans les années 1980.
Avant la place
Sur la « place sans nom », Rachid rapporte : « Avant, il y avait de nombreux petits bâtiments ici », faisant référence aux baraques éparses et insalubres qui s’étaient installées non loin du Verderet. En effet, le ruisseau malsain coupait la rue du Pont-Saint-Jaime et débouchait sur la place qui n’existait pas encore.
Un ultime signe du passage de l’eau sur la place réside dans ce pont de galet menant à une porte désormais condamnée. Il s’élance, comme il y a 40 ans, au-dessus de ce qui était le ruisseau. À droite du petit édifice, la façade arrière du 20, rue Chenoise est marquée d’un béton moderne venu combler le vide des bâtiments détruits.
Quant au 1er et 2e étage, l’on aperçoit des restes médiévaux abîmés par les rénovations, comme cet encadrement de fenêtre en pierre presque ensevelie. De l’autre côté de la place, au Nord, un bout de mur en pierre, caché par des voitures garées là, indique la présence d’un autre bâtiment désormais rasé.
Cette rénovation du quartier devait, comme l’atteste une carte de l’époque, permettre de créer un « jardin ». Pourtant, le nouvel espace a été vampirisé par la voiture, en ce centre-ville où les places pour se garer sont devenues si chères.
Ainsi, les automobilistes s’y entassent, jusqu’à gêner le départ d’autres — les plus sympas laissent leur numéro de téléphone sur le pare-brise. Les autres s’en moquent, occasionnant derrière eux un concert de klaxon désespéré.
Le calme revenu, on se souvient — alors que la neige tombe — de ce soir d’été où l’on était venu chercher une fraîcheur bienvenue. Quelques rares enfants s’amusent alors sur la place. Comme hors de la ville, la « place sans nom » est pourtant en son centre — l'île perdue est désormais retrouvée.
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