Sus aux emballages ! En deux ans, quatre épiceries en vrac se sont installées dans l’agglomération. Une autre manière de consommer qui nécessite de repenser son quotidien. Sur les marchés, de curieux consommateurs trimballent avec eux boîtes en plastique et bocaux vides. Ils refusent les emballages pour limiter les déchets et n’achètent qu’au détail. Avec rigueur, mais sans austérité.
Sortir une poubelle ? Barbara et Martial ne le font plus qu’une fois par mois. « Et ce n’est pas parce qu’elle est pleine, c’est simplement qu’elle sent trop mauvais » s’en amusent-ils. Ce couple de quadra est installé dans une maison à Saint-Martin d’Hères avec leurs deux enfants de 8 et 12 ans.
En six mois, ils estiment avoir réduit leur volume de déchets non compostables par 4 ou 5, depuis qu’ils ont décidé de passer aux courses en vrac. « Nous faisions déjà nos courses au bio et au marché mais pas forcément dans l’objectif de réduire nos déchets. C’est sur internet que nous avons découvert la démarche zéro waste ».
Zéro waste, zéro déchet : un mode de vie et de consommation popularisé par la française Béa Johnson (expatriée à Los Angeles) via un blog, décliné plus tard en un livre vendu en milliers d’exemplaires. Aujourd'hui, le mouvement est global. Des groupes Zero Waste se créent partout.
Au cœur de la démarche : lutter contre le tout-jetable en trouvant des alternatives aux produits à usage unique. D’où les courses en vrac, et des petites boutiques qui surfent sur cette vague et fleurissent dans toutes les villes. « Le vrac est une manière de consommer, d’acheter ses produits alimentaires et non alimentaires non pré-emballés, en quantité désirée » explique Célia Renesson, directrice de l’association professionnelle Réseau Vrac (lire notre interview).
Elle rassemble aujourd’hui plus de 600 entités dans 6 pays, preuve d’un marché en pleine structuration. Dans l’agglomération grenobloise, 4 boutiques se sont ouvertes en l’espace de 2 ans, chacune occupant un créneau spécifique : magasin de centre-ville, vente en ligne et/ou livraison à vélo.
Le vrac, de l’intérieur
Quand vous entrez dans un magasin de vrac, il semble régner un ordre tout militaire dans les rayonnages : les silos sont parfaitement alignés sur les rayonnages. Les produits stockés apportent quelques touches de couleur. On ne subit pas le fatras des emballages avec leur look outrancier. Une sobriété agréable.
À la Bonne Pioche, rue Condillac à Grenoble, il faudra même se passer de musique. Une parenthèse silencieuse voulue par Céline et Marie, les 2 gérantes. « Nous voulons faire du magasin un lieu de vie qui va au-delà de l’aspect commercial, défendant des valeurs et mettant l’humain au centre ». D’ailleurs, deux tables sont disposées à l’entrée pour permettre aux clients de discuter autour d’un café ou d’un thé.
Alors que l’on dialogue, des consommateurs arrivent avec leurs contenants - bocaux, boîtes en plastique, sachets en tissu, panier - et les remplissent des ingrédients de leur choix. D’autres déposent à l’entrée de la boutique leur surplus de bocaux qui servira pour des clients moins avertis. Ceux-là peuvent demander conseil pour savoir comment s’y prendre et par où commencer. Avant de se servir, il faut, si ce n’est pas déjà fait, peser les bocaux ou les boîtes et inscrire la masse dessus. Ici on marche à la confiance. Céline et Marie ne contrôlent pas si le client triche en ajoutant quelques grammes.
Priorité au local
À la Bonne Pioche, les trois quarts des produits proposés viennent de l’Isère. On ne trouvera même pas de bananes ou d’oranges. Question de cohérence quand on promeut le commerce responsable. « Nous avons 130 fournisseurs. Nous les avons démarchés un par un et sélectionnés en fonction de la qualité de leurs produits. On ne propose pas du bio à tout prix. On privilégie le local en sachant comment les produits sont faits et en informant les consommateurs ».
À Day by day, l’autre magasin de vrac situé place Condorcet, on attache aussi une importance à la provenance des produits mais l’offre est moins locale. Day by day est la première franchise de magasins de vrac. Les boutiques partagent les mêmes fournisseurs. Difficile de faire du très local dans ces conditions. « Mais nous favorisons la filière française. Les créateurs de la franchise sont en train de revoir l’approvisionnement des produits et de mettre en place des process pour prendre en compte l’impact environnemental. Nous essayons de créer des filières afin de relocaliser certaines productions » nous assure Brice le gérant du magasin.
Écologie rime avec économie
On est surpris du nombre de jeunes et d’étudiants qui poussent la porte de la boutique. Leurs motivations ? Pour Sandra « c’est réduire mon empreinte écologique en m’attaquant à mes déchets et à mes poubelles. Et là, c’est du concret. »
Même mobile pour Audrey, étudiante en DUT informatique, qui trouve d’autres avantages au vrac. « Pour tester de nouvelles recettes, je peux prendre ce dont j’ai besoin en petites quantités. Si je n’aime pas, il n’y aura pas de gaspillage. Je peux aussi acheter des produits pour fabriquer mes cosmétiques et mes produits d’entretien. Au final je dépense moins d’argent. »
Faire des économies peut-il être une motivation pour se mettre au vrac ? Pour Brice, « à qualité équivalente, le vrac coûte entre 5 et 40% moins cher. En plus, en achetant juste ce dont vous avez besoin, vous faites des économies. »
Des efforts pour s’adapter
Écologique, économique, pratique, meilleur pour la santé, le vrac cumule les avantages, ce qui peut expliquer son succès foudroyant en 3 ans. Mais passer de la grande distribution standard aux courses en vrac n’oblige-t-il pas à adapter sa consommation et ses habitudes ?
Pour Barbara et Martial, le passage au vrac a aussi impacté leur mode de vie. « C’est un grand écart, mais il faut le faire progressivement en s’imposant une discipline au début et pas mal d’organisation. Après cela devient naturel et est plutôt source de fierté et de bien-être ».
Au chapitre des contraintes : cuisiner un peu plus, emmener ses boîtes et ses sacs quand on part en course et convaincre les commerçants. « Dans les commerces ou sur les marchés, nous avons dû expliquer notre démarche. À quelques exceptions, elle est bien perçue et nous pouvons ramener nos courses dans nos propres récipients : lait, viande, fromage ou poisson. »
En revanche oubliez le côté pratique des grandes surfaces où l’on trouve tout au même endroit. Passer au vrac nécessite de courir un peu plus les magasins. « Le point positif c’est que nous ne faisons plus de courses spontanées, d’achats impulsifs même si ça nous arrive de craquer. Ce mode de vie ne doit pas entraîner de frustration mais du plaisir. »
Consommer autrement sans que cela ne soit vécu comme une contrainte, c'est le pari de ce mouvement ambitieux et positif qui croit au pouvoir des citoyens et en l'impact de chacune des actions du quotidien.
Crédits photo : Masayo - O Bocal (Nantes)
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