Souvent qualifiée de belle endormie en matière de street art et d’arts urbains, Lyon semble enfin avoir trouvé un nouveau souffle. Depuis trois ans, la ville rattrape son retard dans le domaine et laisse émerger les nombreux artistes qu’elle héberge notamment sous l’impulsion d’associations et artistes engagés.
Un dimanche après-midi ensoleillé et chaud comme l’été a pu en fournir aux Lyonnais. Pour se changer les idées, Thomas décide se rendre à Zoo Art Show, une exposition qui fait parler d’elle depuis des semaines. “Je ne suis pas spécialement branché street art mais visiblement ça vaut le détour” lance le quadra. Au moment d’arriver au cœur du sixième arrondissement pour visiter cet immeuble transformé en lieu d’exposition éphémère (avant travaux) de 42 artistes urbains, il est stupéfait par l’interminable file d’attente. “J’avais vu sur les réseaux sociaux que Zoo Art Show attirait du monde, mais je ne pensais pas faire la queue pendant plus d’une heure. Tant pis, ça valait le coup” finira par lâcher Thomas au sortir de l’exposition.
Transition artistique
Destinée à s’arrêter fin juillet, c’est finalement fin septembre que Zoo Art Show a fermé ses portes après avoir accueilli près de 40 000 visiteurs. “Lyon était très en retard en matière de street art. Depuis 20 ans on essaye de valoriser nos arts avec pas mal de difficulté mais on a réussi à enfin le faire et le succès engendré est ultra encourageant” se réjouit Philippe Reichsrath, le coorganisateur de Zoo Art Show. Depuis quelques mois, les lieux éphémères fleurissent en ville et font la part belle aux artistes urbains. “Le bâtiment que nous avons investi était l’ancien centre de la CroixRouge, il va être réhabilité en habitation. Après avoir eu vent de ce changement, on a contacté le promoteur pour lui proposer notre show avant que les travaux commencent. Il a rapidement été d’accord” raconte Philippe Reichsrath.
Le mouvement ne semble pas près de s’arrêter et de plus en plus de bâtiments en transition deviennent des lieux éphémères consacrés aux arts urbains. Rien qu’en ce mois d’octobre, on en compte deux nouveaux ! Le 5 octobre, Les Halles du Faubourg (Lyon 7e) ouvriront leurs portes. “Dans cet ancien entrepôt de stockage de sous-vêtements destiné à être détruit dans un an, on va essayer, une fois de plus, de donner une place dans la ville aux arts urbains” explique Romain Weber, l’un des responsables du projet et chargé d’exposition de la Taverne Gutenberg (Lyon 7e), autre lieu de promotion des arts urbains.
Le 11 octobre, c’est le projet One Shot qui sera inauguré. Porté par le collectif Superposition (qui sévit déjà au SITIO, Lyon 2e), ce projet consiste à créer un espace d’exposition éphémère dans l’ancienne boutique C&A du centre commercial Confluence (Lyon 2e). Superposition supervise aussi la grande fresque éphémère de la rue Victor Hugo inaugurée mi-octobre (Lyon 2e). “On a été contacté par MyPresqu’île, l’association des commerçants, pour réaliser fresque de 2000 m² au sol dans la rue Victor Hugo. Plusieurs artistes contribueront à la création de ce serpent éphémère qui devrait disparaître au fur et à mesure de l’avancement des travaux de la chaussée” résume Orbiane Wolff de Superposition.
Pris au sérieux
“Depuis l’explosion de Banksy vers 2001, le street art devient bankable sur le marché de l’art. Maintenant, on est pris au sérieux et, logiquement, le street art rentre un peu plus dans les mœurs. Le grand public devient moins frileux et se déplace de plus en plus pour voir les expositions” explique Cart’1, graffeur lyonnais depuis 25 ans et coorganisateur de Peinture Fraîche, le futur festival destiné au street art (voir encadré cidessus).
Même son de cloche du côté de Romain Weber : “on voit arriver une génération de gens de 20 à 35 ans qui ont grandi avec des références au street art. Ces mêmes personnes pèsent de plus en plus dans la société et cela permet de donner de la visibilité et de la crédibilité aux arts urbains.” C’est également dans ce mouvement que s’inscrivent les propriétaires de Maison Nô, le nouvel hôtel inauguré en septembre à deux pas de la place des Terreaux. Dans les cages d’escaliers de l’établissement flambant neuf, une trentaine de street artists lyonnais ont pu librement laisser leur trace.
Pédagogie
Pourtant héritière d’une longue tradition de murs peints et pétrie d’ambitions européennes, Lyon était bien à la traîne en matière de street art. Certains racontent même que l’ancien maire qualifiait de “fléau” cette discipline. Mais aujourd’hui les choses changent. “D’une part, le street art est à la mode et, d’autre part, les institutions publiques et privées prennent conscience du potentiel de cette discipline notamment en matière de tourisme” décrypte Cart’1. Ainsi, de plus en plus d’initiatives fleurissent en ville. La fresque MUR69 lancée au coeur de la Croix-Rousse en 2015, le skatepark du pont de la Guillotière (Lyon 7e) ou celui près de la place du Maréchal Lyautey (Lyon 6e) en sont quelques célèbres exemples et contribuent largement à moderniser l’image de la ville à propos du street art.
“Il faut continuer à faire de la pédagogie, assène Philippe Reichsrath. L ’objectif de toutes nos initiatives reste de contribuer à faire émerger les arts urbains. Quand les gens sortent des expos, je veux qu’ils lèvent les yeux pour constater que les collages, les mosaïques et les graffitis etc. sont de véritables expressions artistiques installées dans leur quotidien.” Ce vœu semble commencer à se réaliser. Côté touristique, les initiatives se multiplient pour proposer des visites sur ce thèmes et les touristes français ou étrangers sont de plus en plus nombreux à arpenter les rue des Pentes, de la Croix-Rousse, de la Guillotière et d’ailleurs pour découvrir les oeuvres plus ou moins éphémères qui animent le quotidien.
Quant aux puristes qui commencent à stigmatiser les reprises plus ou moins habiles du street art, Cart’1 a un avis bien tranché sur le sujet : “effectivement, il y a de la récupération par le marketing, la communication, les marques etc. C’est inévitable et cela a toujours été le cas dès qu’un art devient apprécié du grand public. Après m’être battu pendant 25 ans pour faire reconnaître mon art, je ne fais pas jouer les vierges effarouchées maintenant qu’il commence à sortir de la clandestinité !”
L ’essentiel pour la majorité des activistes issus des arts urbains reste que les artistes n’oublient leur terrain de jeu originel entre deux expos. Parfois, cela a du bon d’être à la rue.
Crédits photo : DUPS
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