Dans les années 60, les architectes accompagnent la rénovation de la religion catholique par une architecture hallucinée. Deux églises marquent cette époque à Grenoble : l’une prône l’humilité, l’autre l’égalité.
Sur les grands boulevards, alors en plein bouleversement dans les années 60, les bâtiments s’alignent. Les architectes ne débordent pas d’imagination dans le dessin de ces immondes barres.
Mais en 1963, l’un d’eux a l’illumination. Maurice Blanc (à qui l’on doit le Théâtre en rond à Sassenage) tient son projet fou : celui de l’église Saint-Jean. « Il voulait un nouveau concept, c’est pourquoi il a imaginé un lieu circulaire, et non plus en forme de croix » se souvient Jean Marine, ingénieur et habitué de l’église Saint-Jean.
Ainsi, bien loin de l’étoile que l’on connaît aujourd’hui, le lieu de culte est totalement irréel lors de son inauguration en 1965. Les couleurs joyeuses jaillissent de l’édifice qui arbore une toiture autoportante en hyperboloïde soutenue par une armature de bois, qui forme deux familles d’hélices entrecroisées.
Au zénith de cette structure inédite, une capsule de plastique laisse entrer la lumière. De l’extérieur, les Grenoblois peuvent admirer la coiffe dentelée en bronze, brillant au loin.
La longue agonie
Mais finalement ce joyau de l’architecture des sixties va pourrir vite. Trop vite. En effet, les paroissiens remarquent des infiltrations. « Le concept était génial, mais la structure de béton s’est vrillée et s’est affaiblie et l’eau coulait dans l’église », assure Claude Touzain, ingénieur de béton armé, qui a suivi le feuilleton judiciaire.
« L’évêché a pris des avocats. Face aux problèmes de structure, ils ont obtenu de poser des échafaudages pour que l’église tienne debout », poursuit le paroissien. Ce n’est qu’en 1977 que le tribunal condamne l’architecte, le maître d’œuvre et le charpentier.
Entre temps, l’armature en bois a complètement pourri, et le toit est entièrement détruit. Finalement, en 1978, il est démonté et remonté en 79, dans sa forme actuelle.
L’humilité de l’église
L’histoire de l’église Saint-Luc, sur l’île Verte, est tout aussi conflictuelle, comme en témoigne l’édifice sorti de terre en 1967. Sur la place du Doctor Girard, un immeuble perché sur pilotis écrase le lieu de culte. Seul le fronton triangulaire émerge de la façade, pour avertir — discrètement — les fidèles de sa présence. Sans le savoir, l’édifice illustre la perte de vitesse d’une Église subissant les coups de boutoir d’une société sécularisée.
Tout commence avec le legs d’une vieille dame, souhaitant que son terrain abrite une nouvelle église. Le quartier de l’île Verte bénéficie de l’essor des JO de 1968 (l’immeuble en S et les trois tours sont sortis de terre), et la construction d’un nouveau lieu de culte est nécessaire.
Cependant, l’évêché refuse l’idée et ne finance pas le projet. Les habitants, à court d’idées, contactent André Béhotéguy, un architecte, qui évoque « le financement de l’église par la construction, sur la même parcelle, d’un immeuble de logements. »
Obtu, l’évêché rejette encore le montage et impose « que les deux constructions soient quasiment indépendantes l’une de l’autre », témoigne André Béhotéguy qui réalise ce « rêve ». Et nous offre une humble église en trapèze. Et auto-financée, s’il vous plaît.
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