La commémoration des JO nous ramène à un temps où l’État français, en démiurge, embarque la ville dans le XXe siècle. En remodelant totalement l’urbanisme grenoblois, en recréant des voies d’accès, la France gaullienne transforme la cité alors en déshérence. Une vraie carte postale.
Le 28 janvier 1964, Albert Michallon jubile. Le maire de Grenoble de l’époque vient de gagner les Jeux olympiques d’hiver de 1968. Cette annonce arrive comme une bénédiction pour sa réélection. En effet, l’année suivante, l’édile gaulliste doit participer aux élections municipales. Mais lors du retour du maire par le train, un journaliste constate sur place : « Il n’y avait pas cent personnes pour les accueillir (…). Nous eûmes, ce jour-là, le cœur serré. » Voilà comment débute l’aventure olympique grenobloise. Discrètement et sans fracas.
La présentation élogieuse de la ville avait pourtant atteint son apogée avec le film de Jack Lesage. Le cinéaste grenoblois tourne, en 1964, le film « Grenoble Capitale Alpine », où il vend la ville au comité olympique en brossant un portrait élogieux. Les images d’enfants rieurs à la montagne succèdent à celles tournées depuis la tour Perret. L’on y distingue le vieillissant Palais de la houille blanche (détruit juste avant les JO) long de 100 mètres, jouxtant la halle Clemenceau qui se dresse et accueille une patinoire flambant neuve. Le film décrit aussi avec ferveur les pics enchanteurs du massif de Belledonne : « Une à une, happées par l’enfer ardent, les cimes vont disparaître. »
L’envers de la carte
Un mois après l’annonce de la désignation de Grenoble, le monde politique grenoblois va pourtant connaître un profond changement. Un ingénieur du CEA apparaît sur la scène politique : Hubert Dubedout. Et à entendre le jeune loup, Grenoble n’a rien de la carte postale vendue par Albert Michallon. En effet, la plupart des bâtiments d’habitation des 160 000 Grenoblois ne disposent pas d’eau courante. Ce sera le cheval de bataille d’Hubert Dubedout. Dans une campagne municipale éclair, bâtie sur sa lutte et sur un rassemblement de gauche, il est élu en mars 1965, à la surprise de la droite grenobloise.
Le jeune maire se retrouve alors à la tête d’une ville qui va accueillir dans 3 ans les JO et les travaux ne sont pas encore lancés. En plus de l’eau courante qui manque, Grenoble n’a pas les équipements suffisants pour les JO. Tout est à construire dans une ville industrielle qui ne bénéficie plus de l’essor de l’exposition de la houille blanche de 1925. Ainsi, il apparaît de manière voyante le bluff du dossier de candidature qui vantait : « Grenoble possède tous les édifices nécessaires aux cérémonies d’apparat ».
Le « nouveau » Grenoble
Cependant, seule, la ville ne peut pas tout. C’est ainsi que l’État va prendre le relais avec une participation à hauteur de 74 % (pour une enveloppe totale de 1,1 milliard d’anciens francs, soit 1,4 milliard d’euros de 2016). Mais les financements tardent à arriver. Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances, rechigne à engager les dépenses. Le préfet Maurice Doublet met sous pression le gouvernement grâce à une conférence de presse alarmiste. Il y souligne le mauvais état des bâtiments publics : un bâtiment de La Poste vieillissant, la gare sous-dimensionnée, et les voies d’accès en mauvais état.
Giscard d’Estaing ira jusqu’à menacer de démissionner le préfet, mais ce dernier sera sauvé par le Premier ministre Georges Pompidou qui va finalement débloquer la somme symbolique d’un milliard d’anciens francs. Cette somme, colossale, va d’ailleurs retarder les autres projets en France. Grenoble en profite donc, et durant deux ans, les inaugurations vont se succéder. Mise en service de l’autopont des boulevards en novembre 1967. L'inauguration de L’Hôtel de Ville est le 18 décembre 1967 et celle de la Maison de la culture, ouverte par Malraux, le 13 février 1968.
Enfin les JO
Finalement, les constructions sont achevées dans les temps. Le stade olympique, d’une capacité de 60 000 places, s’est installé sur l’emplacement de l’aéroport de Grenoble-Mermoz. Sa structure de type tubulaire — aujourd’hui, on dirait échafaudage — semblait innovante. Située dans l’axe de l’avenue Marcellin-Berthelot, l’on pouvait distinguer le gigantesque stade depuis Chavant.
Les spectateurs affluent dans l’enceinte et les délégations des 37 nations prennent place. Léon Zitrone, présentateur à l’ORTF, annonce alors le général de Gaulle, qui prononce l’ouverture des jeux à 15 h 39. Les drapeaux se lèvent et trois hélicoptères survolent les tribunes en larguant près de 3 000 roses de tissu parfumé.
Après la course contre la montre de la construction, l’objectif est atteint. Place aux épreuves. Et à leurs rebondissements. Ainsi, personne ne peut oublier les succès de Jean-Claude Killy, surnommé King Killy. Sa troisième médaille d’or doit beaucoup au brouillard de Chamrousse. En effet, ce samedi 17 février, c’est d’abord le Norvégien Haakon Mjoen qui réalise le meilleur temps sur le slalom spécial. Il est cependant disqualifié pour avoir manqué deux portes, le brouillard l’empêchant de les distinguer.
Sous cette épaisse brume, Karl Schranz qui assure avoir été gêné par un officiel, refait une seconde descente et l’emporte. Mais le jury réexamine sa première tentative et annule sa performance. Il a lui aussi raté des portes du slalom. La vidéo montre ici un tournant crucial dans l’analyse des résultats sportifs. C’est finalement Killy qui est proclamé vainqueur et obtiendra sa médaille au palais des Sports.
La guerre froide à Grenoble
Si la France peut se consoler avec Killy, elle a souffert de son échec complet au hockey. Dernière du tournoi, la France s’est néanmoins ouverte à ce sport d’équipe alors méconnu. La compétition de hockey a surtout vu l’affrontement majeur entre la Russie — archi favorite — et l’équipe tchèque qui vit son Printemps de Prague. Un match tout aussi sportif que géopolitique. Les Tchèques prennent rapidement l’avantage à 3-1, et ne seront jamais rejoints. Le champion russe Firsov, habitué à enchaîner les points, reste impuissant. Si les favoris de la compétition sont déstabilisés par cette défaite, cela ne les empêche pas d’obtenir l’or. De là à voir un signe annonciateur de la répression du Printemps de Prague en août 68, il n’y a qu’un pas.
L’héritage de la compétition
Sportivement parlant, la France obtiendra la 3e place au classement. À un niveau plus trivial, le CIO n’a compté qu’environ 500 000 billets vendus, bien loin des prévisions du million de visiteurs symbolique. Durant la compétition, un article du Monde se demande même « Où sont les visiteurs ? », le 15 février 1968. Les retombées économiques en sont amoindries.
Après la fête, la vie reprend son cours. La Ville se questionne : que faire d’équipements comme l’anneau de vitesse, qui lui reste sur les bras ? La patinoire de l’anneau de vitesse et toute l’installation de refroidissement sont vite abandonnées. D’autres (voir visite Vercors) comme le Palais des sports, a continué d’être utilisé avec parcimonie.
L’événement va surtout peser sur les finances de la Ville. Malgré un emprunt avantageux, les Grenoblois voient augmenter fortement les impôts locaux. Cette même hausse de la fiscalité va permettre à la municipalité Dubedout de mettre en œuvre le projet urbanistique le plus ambitieux. La Villeneuve, qui s’installerait à l’emplacement exact du stade olympique. Grande utopie, qui, elle aussi, pose question.
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