La forêt ne cesse de s’étendre en Isère et couvre déjà un tiers de notre département. Ce témoin millénaire de l’activité humaine a subi les coups de boutoir de nos ancêtres. Aujourd’hui, l’on se rend de compte des bienfaits qu’elle peut nous apporter. Penchons-nous sur la relaxation forestière, en pratique.
Le crissement des feuilles au sol à chaque pas. Le « piip piip » insistant d’oiseaux insaisissables. La forêt est une parenthèse bienvenue pour se sevrer du monde citadin. Surtout, depuis Grenoble où les bois semblent si proches, on s’imagine sans arrêt grimper parmi ces millions d’arbres apaisants. Sans parfois y parvenir.
Stopper la 4G, son wifi et ses habitudes n’est jamais simple. Mais pour déphaser d’avec cette vie ultra-connectée, il faut se diriger aux confins de l’Isère, près de Saint-Baudille-de-la-Tour. Le village, planté dans le plateau calcaire de l’Isle-Crémieu, est entrecoupé de bosquets et d’étangs.
La France, heureusement, reste un pays très boisé. « Depuis la Révolution, la surface de nos forêts a doublé, notamment grâce à l’instauration du code forestier en 1827 », dévoile Rémi Desfontaines, garde à l’ONF (Office National des Forêts).
Cela se remarque autour de Saint-Baudille-de-la-Tour, où l’on atteint la plénitude de la nature sous la ramure des chênes et des charmes. Depuis le hameau de Chapieu, on emprunte un des nombreux sentiers qui parcourent les bois.
Après vingt minutes de marche, l’on distingue une singularité dans l’espace forestier. Au milieu de l’étang de la Roche, aussi placide que les hérons qui y chassent, se trouvent des cyprès chauves. Cette essence, très rare en France, est originaire du sud-est des États-Unis et est friande des eaux peu profondes. Afin de se tenir droit dans la vase, l’arbre créé à sa base des racines spéciales. « Ce sont des pneumatophores qui captent le dioxygène. C’est donc une petite forêt dans l’eau », précise Raphaël Quesada, de l’association Lo Parvi, qui a pour objectif d’acquérir et de valoriser les connaissances sur l’environnement.
En regardant cet arbre se mouvoir doucement au rythme du vent, on ne peut s’empêcher de penser : « fascinante nature ». L’automne venu, le spectacle est encore plus saisissant, lorsque le cyprès se colore d’orangé et de rouge.
Depuis ce point, il est très facile de rejoindre les bois de Courtenay, où l’on pourra s’adonner au Shinrin-Yoku (bain de forêt en français) qui pousse le visiteur à porter son attention sur les couleurs et aux sons. Un moyen d’améliorer son humeur, et son rythme cardiaque selon plusieurs études scientifiques.
La forêt New-Âge
Sur la route qui mène à la forêt de Courtenay, un autre bois vaut le détour : la forêt de Vallin, à Saint-Victor-de-Cessieu. Sur le chemin, sous les frondaisons luxuriantes se trouvent, çà et là, de petites mares qui abritent une faune variée.
On y rencontre des tritons et surtout des crapauds sonneurs à ventre jaune. En parallèle, la forêt est l’objet de nombreuses spéculations. On parle de druides et des templiers parcourant les bois en des temps immémoriaux.
La raison de cette imagination ? Le lieu serait habité par « des forces telluriques » des plus apaisantes. YouTube fourmille d’ailleurs de vidéos amateurs vantant ces bienfaits. Gilbert, moustache et banane à la taille, témoigne : « C’est comme de l’électricité qui passe par les pieds ».
Pieds nus, bras ouvert, il reçoit l’énergie de la forêt. Le chemin mène enfin à la Thébaïde, autre haut lieu tellurique où « il n’est pas rare de voir des femmes enserrant dans leurs bras le tronc d’un chêne », d’après le journal local Le courrier liberté.
Ce genre de câlins à un nom, la « sylvothérapie ». Il est donc possible de se ressourcer grâce à l’énergie particulièrement forte dégagée par ces êtres vivants. La sensation se rapproche d’une caresse à un chat calme, rugueux et pesant plusieurs tonnes.
Pour les pudiques, l’on peut aussi s’adosser contre le tronc afin de sentir cet apaisement. Une fois rassasié, l’on peut reprendre son chemin, et laisser le mirage s’évanouir doucement, dans la fraîcheur des bois, et percevoir sous nos pieds le discret crissement des glands qui jonchent le sol.
Les arbres en détail
Pour découvrir la forêt de façon plus cartésienne, l’Odyssée Verte, implantée à Gresse-en-Vercors, propose une visite plus scientifique. Cette balade arboricole incontournable se déroule sur plusieurs plateformes installées en hauteur et reliées entre elles par des passerelles. Les visiteurs sont donc au plus proches de la cime des arbres.
De nombreuses plaques informatives maillent le parcours afin de mieux cerner ces plantes que l’on connaît peu. Les explications englobent largement la morphologie de ces êtres sylvains, depuis la sève et les racines jusqu’au feuillage.
Et lorsqu’on remarque que les pins sont percés d’énormes broches pour soutenir les plateformes, c’est une nouvelle manière d’expliquer sa capacité de régénération. « Les arbres peuvent recréer des tissus autour de la blessure et enveloppent le corps étranger », précise l’ONF, qui est à l’origine de l’Odyssée Verte.
De son côté Francis Hallé, botaniste et professeur à Montpellier, détaille son intérêt pour l’installation : « Les arbres sont des êtres vivants mal connus. Notre monde actuel, où les gens vivent de plus en plus loin de la nature, a besoin de ces systèmes qui nous en rapprochent ». En levant le regard, il est toujours impressionnant de voir ces milliers de tonnes de bois se balancer paisiblement.
La Chartreuse giboyeuse
Les forêts sont aussi remplies de multiples êtres vivants. L’ONF installé en Chartreuse propose d’ailleurs des sorties toute l’année à la découverte des traces des animaux. « Ici, nous avons tous les types d’ongulés comme le sanglier, le cerf ou encore le chamois et le mouflon », inventorie Rémi Desfointaines, le garde qui s’occupe de la forêt près du Charmant Som.
Grâce à ses yeux experts, les impétrants pourront découvrir ce bastion sylvestre. Cependant, pour les observer en mouvement, mieux vaut être « seul, et vérifier que l’on n’a pas le vent dans le dos. Durant la balade dans les bois, il faut s’arrêter quelques minutes, de temps en temps. En pleine journée, des écureuils vont apparaître, mais aussi des cerfs et des chamois », professe le garde.
Pour les malchanceux, il restera à admirer des limaces faisant la course, ce qui demande moins de discrétion. Rémi Desfontaines explique à son tour les bienfaits des balades en forêt, entre des sorbiers des oiseleurs (qui produit des grappes de fruits ronds et rouges, dont les oiseaux raffolent) et des alisiers blancs qui se cachent parmi les hêtres : « La marche dans les bois en montagne est plus physique. Cela m’aide à déstresser. Et forcément, je reste aux aguets des sons et des bruits qui roulent entre les arbres. C’est une chance de pouvoir en profiter de cette manière-là. »
Le diable se cache dans les champignons
Non content d’avoir d’immense forêt, l’Isère abrite aussi une très grande diversité d’espèces de champignons. De mi-juillet à fin novembre, l’on trouve toujours de quoi ravir les papilles avec des cèpes, girolles et autre pied-de-mouton. « Il y a des coins connus, comme la forêt des Seiglières ou le col des Mouilles qui sont très riches », précise Clément Leclercq, de la Société Mycologique du Dauphiné, qui se rassasie du calme régnant sous les futaies.
« La forêt, je m’y sens bien. Il y a un côté décalé. Quand j’ai beaucoup de boulot, cela me détend de me concentrer sur les champignons et de ne penser à rien d’autre », témoigne le mycologue en herbe. Il ravit aussi les promeneurs par leur beauté, comme cette clavaire jaune, ayant l’apparence d’un orgue, qui se régale d’un arbre mort.
Crédits photo : © Gilles Reboisson
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