Voilà 40 ans que le quartier Renaudie se dresse, dans sa toute puissante singularité, à Saint-Martin-d’Hères. Dessinée par Jean Renaudie, la cité repose sur une superposition de garages, d’habitations et de verdure. Traversé par l’avenue du 8 mai 1945, le quartier s’étend entre un parc et le quartier Champberton. Cet îlot utopique, où chaque appartement est unique, a perdu de sa superbe, mais n’a pas encore dit son dernier mot.
Jean Renaudie a 59 ans quand il commence à plancher sur le quartier qu’il est chargé de construire. Communiste convaincu, il réfléchit avant de couler le béton. Il est un des premiers opposants aux méthodes de production des grands ensembles, tels qu’on les connaît dans nos cités françaises, et ce, dès les années 1950.
Ainsi, le quartier qu’il érige (et qu’achève son fils après sa mort en 1981) ne ressemble en rien à la cité des 4000. Le Monde lui rendait hommage sur un blog : « [il a] réaffirm[é] l’importance de l’engagement de l’architecture dans les relations qu’entretiennent les individus entre eux, tout en soulignant également la responsabilité de ceux qui prétendent en faire leur métier, les architectes. »
Ce quartier est ainsi un réseau à taille d’hommes, qui peuvent à leur guise, déambuler, se rencontrer et échanger dans un entrelacs de passage et de cours sur deux étages. Ces multiples lieux de socialisation ont un rôle à jouer dès la construction.
Aujourd’hui, l’architecte est détourné par une minorité car, si l’architecture surprend, les activités commerciales de ce quartier prioritaire ne le sont pas. Sur une rue au nord de la cité, deux ou trois gamins traînent ici toute la journée, trafic de shit oblige. L’emplacement est passant, les escaliers et coursives, idoine en cas de fuite nécessaire face à la police. Un vrai terrain de jeu.
Le béton humain
Lorsqu’on continue dans le dédale, très vite, on oublie les squatteurs pour faire face au reste de la population, calme. En déambulant, on remarque le souci de Renaudie sur l’accessibilité. Tout un système de rampes permet de faire circuler poussettes et fauteuils.
Mais ce qui surprend le plus, ce sont les façades, où apparaissent des formes géométriques sorties de l’esprit l’architecte. On ne discerne aucune symétrie, aucun ordre logique puisqu’il est caché plus profondément.
Si aucun appartement ne se ressemble (du T2 au triplex), aucun élément extérieur n’est semblable à l’autre, à l’image d’une humanité métissée. Ainsi, on trouve ici un escalier intérieur agrémenté d’une verrière, là une façade piquée de plusieurs angles aigus qui s’échappent dans tous sens. Ou encore des jardins en pagailles. La somme des parties forme un tout supérieur, unifié par la nature.
Enfer de verdure
En effet, dans ce paradis du béton, Renaudie prévoit le coup, en intégrant une végétation touffue. Lors du dessin, il insiste sur les cours, les jardins et les terrasses où sont prévus 70 cm de terre pour accueillir des plantes prolixe dans cette « cité ».
Elles descendent des toits-terrasses, forment de solides haies vert pomme, où les chats aiment à se cacher, et des jardins bien ordonnés, où les tomates prennent le soleil. La symbiose entre minéralité et nature est rafraîchissante.
Problème, l’OPAC (à qui appartient une partie du quartier) a enlevé la terre lors des rénovations extérieures. Fini cet enfer de verdure ! Dominique Ripart, président de l’association Terrasses Renaudie, s’emporte : « à la place des plantes, l’eau stagnante a apporté des millions de moustiques », décrit le sexagénaire.
Lui et son asso ont décidé (à la fois pour l’OPAC et pour les squatteurs ci-dessus) de se réapproprier le quartier. Lors de votre visite, laissez-vous guider par le son de la guitare, et buvez un verre avec M. Ripart et ses voisins. Il ne tarit pas d’anecdotes et d’histoires bien actuelles.
Laisser un commentaire