Grenoble, un peu comme Bruxelles, fait parfois n’importe quoi avec son urbanisme. Des édifices récents dans une avenue du XIXe siècle. Des barres d’immeubles sans âme accolées à de charmantes maisonnettes… Grenoble a fait face à des archis bien perchés qui ont « innové ». Petit tour en ville.
Les pics de Chamrousse sont reconnus pour accueillir des « psilocybes », des champignons blancs en formes de tétines. En consommer n’est pas létal, mais peut donner des hallucinations. Vu les « chefs-d’œuvre » architecturaux grenoblois, il semblerait que quelqu’uns de nos archis à travers le XXe siècle aient usé à outrance de cette substance.
Prenons un voyageur imaginaire découvrant la cuvette. Il sort du train (sûrement en retard, comme d’habitude) et se dirige vers l’avenue Felix Viallet. Au bout de quelques dizaines de mètres, un bâtiment sur la droite, au n° 3 de la rue Colonel Denfert Rochereau, apparaît.
On le doit à l’architecte Mondolini. On l’imagine, face à sa table de dessin inclinée, après avoir englouti une belle poignée de psychotrope naturel : « Je vais rassembler l’histoire architecturale de l’humanité sur une façade », s’écrit-il. Comme dans le chaudron de Panoramix, il verse une louche d’antiquité, une bonne cuillère de modernité, et couvre la marmite jusqu’à infusion.
L’édifice, achevé en 1992, est coincé entre deux immeubles du XIXe. Pourtant, il ignore ses voisins et imagine une demi-voûte antique et une colonne pompéienne accompagnée d’un fronton. L’architecte a complété la façade par des vitres carrées sans teint. Et tadam, le bâtiment fait apparaître en miroir les feuilles d’un arbre.
Notre touriste continue sa visite et enfile la rue Denfert Rochereau jusqu’à atteindre l’avenue Alsace Lorraine. Dans l’artère, typiquement haussmannienne, s’est glissée une erreur aux couleurs vert et jaune. L’immeuble au 17 se nomme le Palace (et n’est pas un hommage au rastafarisme). Il était certainement flamboyant lors de son inauguration, en 1955. Aujourd’hui, il perd pourtant ses petits carreaux de mosaïque. Le visiteur se creuse la tête : « mais qu’a-t-il bien pu ingérer ? » L’architecte en charge du projet, Albert Teillaud, n’en était pas à son coup d’essai puisqu’il avait déjà réalisé quelques mastodontes des fifties aux croisements du Boulevard Maréchal Foch et du Cours Jean Jaurès.
Pour poursuivre sa visite, le touriste prend la direction du quartier Championnet, qui recèle quelques anciennes propriétés d’industrielles. De prime abord, champi et bourgeoisie ne font pas bon ménage. Mais face au manoir de Barbie, dans la rue du Phalanstère, on doute de l’assertion. Dès qu’on approche, deux tourelles pointues se distinguent, comme au château de Chaumont, en version miniature. Le reste de la façade est d’un blanc immaculé.
Dans les années 20, Grenoble attirent les prolétaires qui cherchent à obtenir un maigre salaire. Alfred Issaly, heureux (et riche businessman dans le caoutchouc) devient propriétaire de cette bâtisse de luxe. Quand ses employés vivent dans de petits réduits, lui philosophe dans son château de princesse. L’argent fait parfois tourner la tête…
Enfin, dernière curiosité sur la route de notre touriste : le foyer pour personnes âgées Notre-Dame. Il suffit de presser la sonnette pour que la lourde porte s’ouvre au 8 rue Pierre Duclot. On découvre dans une sorte d’hallucination visuelle, un mélange des époques.
Le visiteur marche d’abord sous un passage médiéval fait de voûtes croisées en ogive. Il débouche ensuite sur une cour où la façade d’une chapelle du XVIe se détache avec ses pierres massives. En face, une tour octogonale classique dans le quartier historique. Entre ces deux vestiges du passé se trouve le foyer, refait durant le XIXe puis plus récemment.
Tout en béton et en enduit inapproprié. Pour apaiser le tout, on débouche sur un jardin d’arbres et de fleurs, au cœur de cette architecture agitée. Pour terminer : le touriste se retourne, réfléchit à ses découvertes. « Les archis se sont permis un peu tout », se dit-il. « Un mesclun de béton, de carreaux et de vieilles pierres. Complètement hallucinant… »
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