Isère est la terre bénie des micro-brasseurs. Tenaillés par leur passion du houblon, ils ont tout plaqué pour leurs brassins. Bienvenue dans le petit monde de la nouvelle égérie locale : la bière artisanale.
Dans les années 70, de jeunes citadins barbus se tournaient vers l’Ardèche, terre superbement sauvage, pour effectuer leur retour aux origines. Aujourd’hui, il suffit de se rendre au coin de la rue et de monter une micro-brasserie. Ces mêmes citadins (jeunes et barbus) retrouvent les beautés du travail de la terre. Des souvenirs ruraux ressurgissent : parfums des grains séchés, aléas des résultats inhérents à l’artisanat, travail physique…
Parmi les brasseurs grenoblois, l’un était ingénieur, l’autre thésard, ou encore cadre au CEA. À un moment, ils ont pressé le bouton « pause ». Chez Maltobar, installé rue Très-Cloître, le cliché grenoblois est tenace : « Nous, on était ingénieur-thésard au CEA, dans le domaine de la microélectronique » sourit Benoit, l’un des associés. Cependant, face à une carrière professionnelle toute prête, ils ont fui à Nancy. Dans la petite ville du Nord se trouve l’IFBM (Institut français de la brasserie et de la malterie). « Cela nous a permis de nous corriger puisqu’on a commencé il y a huit ans dans la cuisine, avec des brassins de 20 L chez Quentin », détaille Benoit.
Des débuts vraiment amateurs
« La filière bière recrute énormément, mais elle n’est pas encore structurée. On compte tout de même 29 brasseries en Isère », analyse Emmanuel Gillard, biérologue grenoblois reconnu dans le monde. La plupart des brasseurs grenoblois ont, contrairement à Maltobar, sauté l’étape “école”. Chez Biercors, la bière a “commencé avec des dames-jeannes (bonbonne en verre), je filtrais avec un couscoussier et je refroidissais la bière dans la baignoire de l’appart”, se souvient, un peu ému, Martin Torès. Et puis, Internet est né. “Nous, on a beaucoup traîné sur les forums amateurs. On a commencé l’apprentissage ainsi. Et puis, en discutant avec les brasseurs grenoblois, on a évolué.”
Après avoir expérimenté, certains veulent passer à l’étape de la production. Le changement d’échelle est un défi autrement plus compliqué. Suzy est une des fondatrices de la brasserie Irvoy : “Sergio travaille beaucoup sur les bières. Lorsqu’il a fallu passer à une plus grande quantité, il y a eu des soucis pour équilibrer les bières.” Emmanuel Gillard l’assure : “ils ont débuté avec des erreurs, mais désormais leurs recettes sont affinées, et ils ont trouvé leur identité”
De petites entreprises
Pourtant, ce produit abouti est fait avec trois bouts de ficelle. L’installation et les cuves de brassage de La Dourbie sont bricolées par Renaud. Celles d’Irvoy sont logées dans un petit garage. Sergio les a améliorées avec laine de verre et couverture chauffante. L’unité d’embouteillage et d’étiquetage, elle, se situe dans un sous-sol au plafond très bas. Des débuts à la Steve Jobs.
Pour passer à des volumes plus importants, les entrepreneurs/brasseurs doivent gérer ces aléas. Maltobar, par exemple, a consulté la Poussada (pépinières d’entreprises à Mistral) et France Active (qui aide et accompagne les créateurs d’entreprises) afin d’obtenir des prêts avantageux.
Martin Torès (Biercors), quant à lui, a fait appel à du crowdfunding : « 153 personnes m’ont prêté 50 000 euros sur Bluebees (une plateforme plateforme de financement participatif dédiée à l’agriculture et l’agroécologie).
Deux exemples font saliver les débutants. D’un côté, il y a Mandrin (à Saint-Martin-d’Hères), qui vend sa bière partout, du Casino du coin à l’hypermarché en passant par les caves à bières. De l’autre, il y a le Chardon, de taille plus réduite, qui se tourne vers la production raisonnée. « Cela correspondait au format d’entreprise que nous désirions. On préfère plein de petites brasseries plutôt que quelques très grosses », déclare Denis Dumand, le fondateur de la brasserie Chardon.
Pour Emmanuel Gillard, le biérologue qui étudie avec finesse le milieu : « D’après mes chiffres, la barre des 1000 brasseries aurait dû être atteinte à la mi-2017. Finalement, mes chiffres étaient sous-estimés puisqu’on en compte 1050 aujourd’hui. » Nos brasseries grenobloises sont juste dans les temps pour profiter de cette expansion phénoménale. Encore faut-il faire de la bonne bière.
La recherche des saveurs
Chacune des brasseries visitées a cherché, pendant deux ou trois ans, sa recette. Et la variété des ingrédients est pléthorique : les levures, les houblons, les orges se comptent par centaines sur le marché. Les modes, elles, sont facilement identifiables. En ce moment, la IPA est la star. IPA (pour Indian Pale Ale) est une bière forte en amertume où le houblon prime, au contraire des produits industriels qui ont gommé cette saveur. « Aujourd’hui, tout le monde connaît l’IPA, et grâce à elle, les gens ont redécouvert l’amertume », défend Suzy.
Pour réussir cette bière, il faut, après ébullition de l’eau, ajouter des houblons, en général provenant des États-Unis. «Il y a autant de croisement de variétés sur le houblon que sur le cannabis. Ils y ont fait beaucoup de recherche, ce qui donne des fleurs aux notes tropicales », compare Florian, de la brasserie Solstice. Ce sont ces houblons dénommés Cascade, Colombus ou Chinook qui permettent de transmettre aux bières ces saveurs d’ananas ou à de mangue.
Après, à chacun brasseur sa recette. Chez Lishman, la nouvelle brasserie à Gières près de l’UGA, le choix s’est tourné vers le Single Hop, où un seul houblon est utilisé. « J’ai pris du Cascade anglais, ce qui permet de découvrir toutes les saveurs du houblon », témoigne Ian Lishman, formé en Angleterre et dans le nord de la France. Le brasseur propose aussi deux Blended malt : un savant mélange de céréales maltées qui donnent des bières robustes aux notes de caramel, chocolat, café ou biscuit.
La bière, plus que jamais
La bière fascine plus que jamais. Les brasseurs, passionnés avant tout, sont aussi déterminés à transmettre leur fanatisme. Avec leur large baie vitrée, les acolytes de Maltobar offrent leur travail à la vue des passants : « en s’installant en centre-ville, on savait qu’on n’allait pas faire de plus en plus de volume. On veut plutôt se diversifier, en proposant des initiations au brassage. »
De même, le bar et cave à bières Paye ta bière, est dans cette démarche puisqu’elle organise régulièrement des ateliers. L’intérêt social de cet alcool ne se dément pas. Pas moins de sept fêtes autour de cette boisson sont répertoriées localement par Emmanuel Gillard. De plus, dans le centre-ville, des bruits courent sur l’ouverture dans les prochains mois de trois bars consacrés à la bière artisanale. Suzy conclut : « La bière, ce n’est pas qu’une mode. » Tout le monde boira de la bière. Alors, autant boire un élixir local.
Carnet d’adresses
Caves à bières
> La cervoise
350 bières du monde et produits dérivés
2 rue Nicolas Chorier à Grenoble / 04 56 17 81 24 / www.lacervoise-caveabieres.com
> La bulle Grenobloise
30 brasseries en boutique et plus de 250 références de bières artisanales régionales.
8, rue Lesdiguières à Grenoble / 06 63 80 02 67 / http://labullegrenobloise.com
Micro-brasseries locales
> La Dourbie
30 Avenue Jeanne d'Arc à Grenoble / 06 64 13 64 83 / la-dourbie.fr
> Irvoy
www.brasserie-irvoy.fr/la-brasserie / 06 51 54 42 61
> Lishman’s
11 rue de Mayencin à Gières / 09 81 28 06 64 / www.brasserie-lishman.com
> Malt O’Bar
Place Edmond Arnaud à Grenoble / http://maltobar.fr
> Solstice
22 rue Charrel à Grenoble / 06 44 27 11 09 / https://brasserie-solstice.fr
Déguster une bière
> Paye ta bière
15 Bis Chemin Joseph Brun à Grenoble / 09 81 00 58 55 / www.facebook.com/paye.ta.biere/
> Just a beer
Association proposant chaque semaine des soirées de dégustation de bières du monde.
Événements
> Grenoble bière festival
Une vingtaine de brasseries artisanales réunies sur 2 jours au Palais des sports de Grenoble. Dégustation, achat (plus de 300 bières et kits de fabrication), démonstration, musique, restauration, animations… Entrée : 6 euros avec un verre offert
Les 7 et 8 avril au Palais des sports.
> Lyon bière festival
Une soixantaine de brasseries artisanales, conférences, beer pairing, food trucks, musique, espace enfants. Le plus grand !
Entrée 6 euros avec un verre offert.
Les 15 et 16 avril à La Sucrière à Lyon
> Chop’in Vourey
16 brasseurs régionaux dont 5 isérois. Démonstration, dégustation, achat de bières et matériel, animation. Entrée : 2 euros avec un verre offert
Samedi 29 avril de 11h à 20h à l’espace Jean Roybon de VOurey
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