Ils exhument les vieux ceps de vignes et flattent les palais des fins connaisseurs de vins : les jeunes vignerons qui s’installent en Isère ne manquent pas d’audace ni de talent. Laborieux et visionnaires, ils prônent tous un retour au local, une culture naturelle de la vigne, une exigence forte de qualité. Ces vignerons veulent faire renaître les vignobles isérois mais ils sont confrontés à une forte emprise foncière. Quel est leur avenir ?
« En ce moment je bosse pas loin de 14h par jour ». Période de vendange oblige, les journées de Thomas Finot, vigneron à Bernin, à côté de Crolles, sont particulièrement intenses et fatigantes. Il prendra malgré tout le temps de nous recevoir dans sa cave. A notre arrivée, il a la tête dans une cuve, perché sur un escabeau. « J’en ai pour 5 minutes ». On patiente. Entre les barriques, les fauteuils, le canapé, le bar et la table en noyer. Il y a même un jeu de fléchette au mur. Un assortiment surprenant. Comme ce vigneron qui fait beaucoup parler de lui en ce moment. Cette semaine-là, il est à l’honneur dans le magazine Les Inrocks. Il est aussi apparu dans les magazines locaux et la revue Le Rouge et le Blanc, une référence sur le vin. « J’ai même vu ma tête dans une BD » s’amuse-t-il. Son nom est aussi sur les lèvres des cavistes grenoblois et de nombreux restaurateurs qui le citent en référence. « S’il fait autant parler de lui, c’est grâce à son travail et à ses vins » estime Eric Esnault, gérant de la cave Le vin des Alpes rue de Strasbourg. «Il a mené la danse au niveau de la recherche de qualité, il a tout de suite eu une ambition qui n’existait pas avant. C’est logique qu’il se retrouve moteur de la dynamique actuelle dans le département » poursuit le caviste, spécialiste des vins de l’Arc alpin.
Le renouveau des vins
Cette dynamique, évoquée par Eric Esnault, est incarnée depuis 6 ou 7 ans par de jeunes vignerons reprenant des vignobles délaissés ou créant intégralement de nouveaux domaines. Plusieurs points communs les unissent : le travail sur de petites parcelles de vignes, la recherche de cépages spécifiquement isérois, une conduite de culture biologique voire biodynamique, une vinification la plus naturelle possible, et une prédilection pour la de la qualité avant le rendement et la quantité. Stéphanie Loup, présidente du syndicat des viticulteurs isérois : « Proportionnellement à la surface existante (lire notre encadré), l’Isère est le département le plus dynamique dans le domaine, celui où il y a le plus de plantations ces 5 dernières années. Nous avons l’avantage d’avoir un patrimoine important de vieux cépages. Il y a aussi plein de petits vignobles à reconstruire. Cela attire beaucoup les jeunes qui s’installent dernièrement. »
Faire du neuf avec de l’ancien
Parmi eux, Thomas Finot donc. Sa première cuvée locale remonte à 2008. Avant de s’installer à Bernin, il s’est forgé une expérience dans de nombreuses appellations. C’est en revenant d’une exploitation en Italie qu’il repère alors ses vignes. « J’étais en voiture, j’ai repéré ce vignoble sur le coteau. L’exposition, le terrain… c’est un coup de cœur immédiat. C’est ainsi qu’à 28 ans, je me suis lancé, hors cadre familial, hors reprise d’exploitation. Il fallait être un peu inconscient ». Dans ce secteur qui lui est inconnu, Thomas se renseigne auprès des agriculteurs locaux, se plonge dans des ouvrages agricoles de la fin du XIXe. « Localement, les gens ne comprenaient pas tellement ce que je faisais. A mon arrivée, je n’ai pas vraiment été aidé. J’étais considéré comme un étranger. En plus il y a une très forte emprise foncière. Je ne peux pas vraiment espérer me développer. Les propriétaires ont toujours espoir que leur terrain deviennent constructibles ». Heureusement, Grenoble lui réserve un meilleur accueil. Restaurateurs et cavistes apprécient particulièrement ses vins issus des cépages locaux : Verdesse (présent quasi exclusivement dans le Grésivaudan), Persan ou même Etraire de la Dhuy, le vin haut de gamme de Thomas Finot, cépage qui avait la réputation, il y a encore peu de temps, de produire un tord-boyau !
Hé le Mècle !
« La redécouverte des cépages anciens autochtones isérois, c’est un des aspects du renouveau du vignoble isérois » explique Eric Esnault du Vin des Alpes. En ce sens, Mickael Fergusson (Mas du Bruchet), vigneron sur les hauteurs de Meylan, a été visionnaire. Deux ans avant Thomas Finot, cet artisan vigneron s’est mis en tête de cultiver un cépage blanc presque oublié, la verdesse. « Il a compris avant tout le monde le potentiel de ce cépage blanc et l’a très bien utilisé » estime Éric Esnault.
Dans le genre expérimentateur, il y a également Nicolas Gonin à Saint-Chef, près de Bourgoin-Jallieu. Vigneron de formation il s’est reconverti à l’ampélographie (discipline étudiant la vigne, ses espèces et variétés) en 2009.Il est capable de reconnaître visuellement une centaine de cépages. Actuellement, c’est le seul vigneron à cultiver le Mècle, un cépage considéré comme disparu mais retrouvé à force de prospection. La première cuvée de Mècle arrivera en 2017. Certifié en agriculture biologique depuis 2012, Nicolas Gonin n’utilise que des cépages exclusivement locaux : altesse, Verdesse, Jacquère, Viognier, Persan, Mondeuse et Mècle. « C’est un chercheur, un défricheur, un militant presque. Nicolas Gonin produit des vins intéressants, frais, léger qui s’exportent bien » estime Eric Esnault.
Financement participatif au secours des vignes
À 90km au sud-est de Saint-Chef, Laurent Fondimare et Wilfrid Debroize se sont lancés dans une aventure similaire en rachetant en 2010 le domaine des Rutissons, une exploitation agricole en polyculture-élevage, à Saint-Vincent de Mercuze. Coincé entre les vignobles de la vallée du Rhône et de la Savoie, le petit vignoble isérois est influencé par les cépages de ses voisins : Viognier et Syrah de la vallée du Rhône, Jacquère et Mondeuse de la Savoie. Malgré tout, les deux exploitants se sont engagés, en s’appuyant sur un financement participatif, dans un programme de plantation de cépages locaux, selon une véritable démarche de sauvegarde du patrimoine. En quelques années, plus de 3,7 hectares de cépages alpins autochtones ont été replantés.
C’est le même genre de projet, 100% bio lui aussi, que Sébastien Benard est en train de mener depuis 4 ans à La Buisse à côté de Voiron. Il plante 1500 pieds de Viognier en 2014. Puis un financement participatif réussi en 2015 (plus de 8000 €) lui permet de planter 3500 pieds de Verdesse et Persan. Enfin, en 2016, sont introduits 5000 pieds de Persan, Verdesse, Etraire et de Servanin, un cépage typiquement voironnais pour ce dernier. « Je veux planter des cépages autochtones contre la standardisation et l’appauvrissement des goûts, pour l’originalité et la biodiversité. L’enjeu de nous tous, jeunes vignerons, c’est de redéfinir l’identité de la viticulture en Isère. En retrouvant nos cépages, on pourra être mieux reconnu, se distinguer et susciter un plus fort intérêt » raconte ce vigneron « au début d’une aventure », compliquée par la pression foncière. « Mes parcelles sont entourées de maisons, ce n’est pas simple ».
Malgré l’éradication presque totale de son vignoble, l’Isère conserve ainsi une des ampélographies les plus riches de France avec une quinzaine de cépages autochtones. Cela laisse un beau potentiel à exploiter. D’un autre côté, la pression foncière limite le développement des jeunes vignerons. Cependant, Éric Esnault est plutôt optimiste : « La dynamique se poursuit et elle est excellente. De nouveaux jeunes arrivent. La demande excède largement l’offre sur les vins de qualité. Il n’y a plus de discours négatifs sur les vins de l’Isère, les gens d’ici et même les touristes sont curieux et veulent goûter les vins locaux. Dans les années 1900 l’Isère était une grande région viticole alpine. C’était un paradis. On peut le recréer ».
Sébastien Benard
VIDÉO
Infos pratiques
Thomas Finot
Michael Ferguson
www.lemasdubruchet.com / 09 53 90 18 30
Laurent Fondimare / Domaine des Rutissons
http://domainedesrutissons.fr / 06 64 86 33 20
Nicolas Gonin
www.vins-nicolas-gonin.com / 04 74 18 74 81
Stéphanie Loup / Domaine du Loup des vignes
www.domaineduloupdesvignes.com / 04 74 28 95 82
Le vin des Alpes / Caviste
8 rue de Strasbourg / https://levindesalpes.fr / 04 76 43 04 39
Syndicat des vins de l’Isère
https://www.facebook.com/vinsdelisere
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