« On estime qu’il existe près de 300 sites de fortifications en Isère, mais il s’agit d’un éventail large comprenant des ruines, des mottes ou autres », précise Annick Clavier, archéologue au Conseil général de l’Isère. L’auteur Eric Tasset affirme pour sa part dans son livre « Châteaux forts de l’Isère » qu’il existerait, sur le bassin grenoblois, plus de 560 châteaux forts, maisons fortes, mottes castrales, oppidums antiques et manoirs Renaissance. Un phénomène qui tient principalement à l’histoire, puisque la vallée du Grésivaudan était par exemple très convoitée par les Savoyards.
« La difficulté, c’est que de nombreux châteaux sont aujourd’hui des ruines, ou ont été fortement transformés au cours des époques. La plupart d’entre eux ont été abandonnés à la fin du Moyen-Âge car ils ne servaient plus à rien après que le Dauphiné ait été intégré au royaume de France », rappelle Annick Clavier, archéologue. Alors que la noblesse connaît des difficultés financières dans les décennies suivantes, beaucoup de châteaux disparaitront par manque d’entretien, tandis que les rescapés devront survivre aux guerres de religions (1562-1570) et aux reconstructions du XVII et XVIIIe siècle.
Château ou maison forte ?
Parmi les monuments les plus célèbres du département, on retrouve ainsi le Château du Touvet, une demeure d’origine médiévale mais qui a connu des travaux à différentes époques, avec son salon XIIIe, ses jardins emblématiques et ses escaliers d’eau. « Ce château a une origine ancienne, remontant au Moyen-Âge, mais les aménagements que l’on voit correspondent plutôt à la période classique du 17e ou 18e siècle », estime Annick Clavier.
Car n’est pas château médiéval qui veut… En plus des tours, du crénelage et autres attributs, il faut bien faire la différence entre un château, qui est le lieu d’exercice du pouvoir, et la maison forte, une résidence fortifiée de la noblesse. On retrouve par exemple le château dit « du Cingle », à Vernas, qui est en réalité une maison forte.
« Si l’on va dans le sud de l’Isère, en Trièves ou en Matheysine, on retrouve des traces de châteaux médiévaux très anciens pour lesquels il ne reste que des ruines », affirme Béatrice Ailloud, adjointe au service du patrimoine culturel de la direction de la culture et du patrimoine du Conseil général de l’Isère.
Alors que certaines municipalités ont conservé la propriété de leurs châteaux, comme la commune de Saint-Savin (pour le château de Demptézieu), la commune de Bréssieux ou encore la ville de Veurey (pour la Tour des Templiers), la majorité d’entre eux se retrouvent désormais dans le domaine privé, que ce soit entre les mains de grandes familles qui en ont reçu l’héritage, ou de particuliers ayant souhaité y investir leur temps et leur argent.
« Le château de Longpra, classé monument historique à Saint-Geoire-en-Valdaine, fait également partie des demeures familiales appartenant à des propriétaires fortunés, qui ont souhaiter partager avec le public en y proposant des animations », complète Béatrice Ailloux. Le château de Virieu, dans le Nord-Isère, est quant à lui le symbole du château médiéval tel qu’on l’imagine, avec des tours, son crénelage et ses jardins. Ouvert au public, il a été conçu au début du XIe siècle et se trouve depuis classé aux monuments historiques.
Le défi de la restauration
Face à ces châteaux parfois en ruine, la tentation peut-être grande de remonter les époques pour leur faire retrouver leurs plus beaux apparats…
Mais la rénovation est un processus long et souvent très coûteux : « L’enjeu est important, puisque les principes de la restauration veulent que l’on n’enlève rien de ce que l’on peut trouver sur un site. On garde tout ce que l’on a, y compris les restes des époques qui ont succédé », affirme Annick Clavier. Souvent, le retour à un état inconnu est donc l’un des plus gros défis des propriétaires et des restaurateurs.
« La plupart du temps, il n’existe plus de dessins ou de plans montrant quel était le visage du bâtiment. Il faut alors faire des recherches documentaires ou des fouilles archéologiques, qui sont aussi très coûteuses, pour l’étudier et en déduire quelle était son orientation, son élévation… », rapporte Mme Clavier.
À Villemoirieu, Jean-Claude Peyrieux, a voulu associer ses deux passions pour les minéraux et pour les vieilles pierres en achetant le château de Montiracle, afin qu’il devienne un musée des minéraux (Mineralogica). « À l’origine, je recherchais plutôt une ancienne usine textile en pierre avec un plateau de 400 m2 pour fonder mon musée des minéraux, mais j’ai été séduit par ce lieu lorsqu’une agence immobilière me l’a présenté en 2005 », se souvient-t-il. Mais le lieu, situé sur une butte, n’a pas fini de la surprendre : « J’ai découvert que certains éléments avaient totalement disparu.
Reste encore à déterminer où se trouvait l’emplacement des remparts, des sous-terrains ou encore de la chapelle... La première mention de cette commanderie templière remonte à 1276 », explique-t-il. S’il aimerait remettre son château dans ses habits médiévaux, le propriétaire se heurte à la fois à un défi de financement et de restauration. « Je n’ai reçu à ce jour aucune subvention et tous les travaux ont dû être payés de ma poche. J’ai refait le rez-de-chaussée, ainsi que le toit, ce qui représente plusieurs centaines de milliers d’euros », souligne-t-il.
Pour changer la toiture, il a dû également faire face à une pénurie de compétences sur la lauze, un matériau traditionnel qui nécessite un savoir-faire difficile à retrouver dans la région. « J’ai finalement ouvert le musée en août 2012, qui comporte une partie sur le château ainsi que près de 170 espèces de minéraux », affirme Jean-Claude Peyrieux.
Un travail de passionnés
À Crolles, ce sont des passionnés qui ont investi les ruines du château de Montfort depuis… 1999 ! « Ce sont des habitants de Crolles qui, connaissant le lieu et le voyant envahi par la végétation, ont eu l’idée de monter une association pour mettre le site en valeur et le sauver », explique Hélène Schricke, présidente de l’association Raisonneurs de Pierre, qui compte une cinquantaine de membres.
Bien que le site appartienne à la famille de Bernis depuis plusieurs générations, les habitants ont obtenu l’autorisation de s’occuper du château.Ils sont une dizaine à se réunir tous les samedis matins pour travailler à la restauration et à l’animation de ce lieu, qui accueille une fête médiévale tous les 2 ans. Des chantiers de réinsertion avec des jeunes sont également organisés régulièrement en lien avec l’association Arpaij.
« Cela est très valorisant et permet à ces jeunes de faire une activité manuelle et de leur montrer un panel de choses nouvelles pour les remettre dans le circuit de la société », avance la présidente. Pour l’ensemble de ces activités, l’association a reçu des subventions de la fondation du patrimoine du Crédit Agricole, de la Région ou encore de la ville de Crolles, qui lui fournit notamment les matériaux pour le mortier en plus d’une aide de 1000€ par année.
« Comme le processus de restauration est très long et encadré, nous travaillons principalement à la sauvegarde des murs afin de les consolider. Mais comme nous n’avons aucune trace, photo, ou peinture montrant comment était ce château à l’origine, nous ne pouvons pas le reconstruire », détaille Hélène Schricke. Les travaux des Raisonneurs de Pierre consistent donc à remonter les murs à la hauteur où ils sont, et à en combler les trous.
Pour cela, ils utilisent surtout des techniques anciennes en intégrant de la chaux dans leur mortier. « On s’était dit qu’il nous faudrait 10 ans, et il nous semble maintenant qu’il en faudra encore 10 de plus… Nous avons commencé en 1999 mais nous ne nous fixons pas d’échéancier, car nous voulons continuer à avancer à notre rythme et à garder le plaisir », souligne-t-elle.
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