A l’occasion des 80 ans du quartier, Villeurbanne prépare des festivités hautes en couleur. De notre côté, on en profite pour (re)découvrir ces Gratte-Ciel, l’une des rares utopies modernistes et socialistes jamais réalisées.
Avant-garde, hygiénisme, humanisme, ces termes doivent vous sembler familiers si vous vous souvenez de notre visite de mars, dédiée à la cité Tony Garnier. Erigé à la même époque, le quartier des Gratte-Ciel est né lui aussi de la volonté d’un maire, Lazare Goujon, et de l'inventivité d’un architecte, Morice Leroux. C’est la première fois en France que le centre-ville est dédié à des logements destinés aux ouvriers.
Élu maire en novembre 1924, Lazare Goujon est confronté à la crise dès le début de son mandat : la ville est en pleine croissance démographique (la population a doublé en vingt ans pour atteindre 80 000 habitants). Mais elle grandit en vrac, usines et hameaux s’implantant au hasard parmi les champs. Les logements sont insalubres, faisant le lit du mal de l’époque : la tuberculose. Lazare Goujon est avant tout médecin, ainsi la santé et les conditions de vie de la population lui sont chères. Hygiène, confort et bien-être social deviennent ses maîtresmots.
Exemplaire socialement, le projet est aussi impressionnant par sa taille. Encore aujourd’hui, une sensation de grandeur se dégage lorsqu’on lève les yeux de l’avenue Henri Barbusse, épicentre du quartier. Mais imaginez à l’époque ! 1450 logements, dans des immeubles d’une dizaine d’étages, c’est plus du double de la hauteur habituelle.
Arriverez-vous à déceler que les bâtiments s’élèvent en réalité à 9 et 11 étages, en alternance ? Ils semblent pourtant égaux grâce à un astucieux effet d’optique. Sans oublier les deux tours Art déco de 19 étages, les plus hautes tours de France à l’époque de la construction.
Au numéro 15 de l'avenue se situe l’entrée de l’appartement témoin. On vous conseille d’y jeter un oeil (accessible en visite guidée, voir infos pratiques). Parce qu’à l’intérieur, c’est à la pointe de la modernité : eau courante, gaz, électricité, chauffage, ascenseur... Pour se représenter la révolution que représente un tel confort, les guides lyonnais de Cybèle proposent une visite originale, dans la peau d’un agent immobilier des années 30. Puis, vous emmènent goûter les pâtisseries de Bettant, le tout premier commerçant à avoir investi les lieux quand aucun autre n’osait faire le pari de s’y installer…
UNE CITÉ IDÉALE ET GLOBALE
Dans son “plan d’aménagement et d’embellissement de Villeurbanne”, Lazare Goujon projette de construire non seulement un quartier d’habitations mais aussi des équipements municipaux, des commerces, des lieux de vie sociale et culturelle. L’Hôtel de Ville, situé au bout de l’avenue, en fait partie. Dans le cahier des charges, il doit “révéler l’esprit moderne de la ville”. Et surtout matérialiser l’indépendance de Villeurbanne vis-à-vis de Lyon qui a plus d’une fois essayé de l’annexer. À ce titre, son architecte Robert Giroud prend grand soin d’ériger un beffroi visible depuis Fourvière.
Autre particularité, la salle des mariages est l’une des deux seules en France à abriter un véritable orgue. Contournez le monument et traversez la place pour vous retrouver face au Palais du Travail, autre pilier de l’ensemble. Lazare Goujon souhaite un “centre d'activités intellectuelles, artistiques et morales, indispensable pour le développement démocratique de la cité.” Ainsi ce “temple laïque” abrite un théâtre (l’actuel TNP), un cinéma, une brasserie, des bureaux pour les syndicats et les associations, un dispensaire d’hygiène sociale et même une piscine en sous-sol, toujours en fonction aujourd’hui !
Le projet comprenait aussi la création d’un stadium, cirque monumental accueillant également une patinoire, un vélodrome d’hiver et un ring de boxe. Mais le projet fut stoppé suite à l’échec de Goujon aux élections de 1935. Cela n’a pas empêché les Gratte-Ciel de symboliser l’affirmation de Villeurbanne et son affranchissement de Lyon à l’époque déjà. A tel point qu'aujourd'hui, les deux tours font partie du logo de la ville.
Crédits photo : Gilles MichalletInfos pratiques
> LE RIZE propose des visites guidées du quartier (2 heures, gratuit).
La prochaine aura lieu le 14 juin. une exposition de dessin sera consacrée aux perspectives des Gratte-Ciel à partir du 12 juin. Enfin, les archives municipales renferment des trésors sur le sujet.
23 rue valentin-Haüy - Villeurbanne 04 37 57 17 17
> CYBÈLE propose également des visites guidées du quartier avec une mise en scène originale (1h15 + petit déj ou goûter, 20/25€). La prochaine aura lieu le 21 juin.
> UTOPIES RÉALISÉES Les Gratte-Ciel font partie du réseau des utopies réalisées (tout comme la cité tony Garnier). Des informations, plans et audio-guides sont disponibles gratuitement sur le site www.utopies-realisees.com. Le quartier bénéficie aussi du label “patrimoine du XXe siècle”.
> 80 ANS Villeurbanne organise de nombreuses festivités pour célébrer les 80 ans des Gratte-Ciel et le nouveau projet de prolongement du quartier. Le festival des Invites de Villeurbanne fêtera l’inauguration d’une passerelle monumentale et éphémère construite pour l’occasion le 17 juin, un forum urbain d’architecture se tiendra les 27 et 28 juin.
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