L'essor de la grande randonnée

Immortelle randonnée : avec plus de 300 000 exemplaires vendus, l’ouvrage de Jean-Christophe Ruffin relatant son itinérance sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle a été la deuxième meilleure vente française de livres en 2013. Un succès de librairie accompagné d’une médiatisation de l’auteur qui a incontestablement participé à la promotion de cet itinéraire mythique en particulier, et plus largement de la grande randonnée.

Peut-on pour autant avancer que les Français se piquent de plus en plus d’itinérance pédestre ? Certainement pas uniquement à partir de ce succès aux raisons diverses. En revanche des chiffres et des données glanées au fil de nos rencontres semblent confirmer cette tendance de fond, comme auprès de Gérard Revhelin, président de la Fédération française de randonnée Isère. « Oui, nos sentiers sont de plus en plus parcourus. On le sait car on travaille avec Isère Tourisme qui a en charge avec nous la gestion du réseau de sentier. On s’en rend compte notamment au niveau des hébergements ».

L’association La Grande Traversée des Alpes (GTA), basée à Grenoble, pilote cinq itinéraires majeurs, dont deux pédestres, le mythique GR5 et la Via Alpina. Sa Directrice, Muriel Faure, croit aussi au développement de la grande itinérance. « Il y a environ 5 millions de randonneurs réguliers en France. Très peu sont licenciés mais le nombre de randonneurs au long cours augmentent car les gîtes et les refuges tournent bien.

On peut le constater également au regard de la diversification des pratiques de la marche ». Dans les enseignes du Vieux Campeur, les ventes ont aussi évolué. Bertrand Courbiere, responsable du magasin de Grenoble, constate une augmentation des ventes de sacs à dos à gros litrages, des tentes et des duvets.

« Les gens veulent un retour aux sources, à la nature. Ils partent plusieurs jours, sans forcément faire de grosses marches mais en cherchant l’autonomie. Ce qui est nouveau, ce sont les parents qui n’hésitent plus à équiper leurs enfants, entre 6 et 12 ans. D’ailleurs nous avons développé un rayon spécifique enfants pour les sacs à dos, les chaussures et les duvets. »

Bon pour le corps, bon pour la tête

Le retour aux sources. C’est une des raisons souvent invoquées par nos interlocuteurs pour expliquer le succès croissant de la grande randonnée. « Les populations sont de plus en plus urbaines, et on s’éloigne de la montagne, on ne sait plus comment l’appréhender » estime Muriel Faure, directrice de la GTA, « nous, à travers l’itinérance, on cherche à fait vivre une expérience unique aux marcheurs. On promet d’abord l’accès à la montagne, l’expérience, la rencontre des populations devant des paysages extraordinaires ».

Découverte et immersion dans un milieu naturel, dépaysement, l’aventure à portée de tous, c’est le tronc commun des attentes des randonneurs. Mais la marche revêt aussi une dimension philosophique et sociologique, parfois introspective. « Marcher c’est comme une prestation médicale. Les gens veulent cultiver leur bien-être et leur santé. C’est une rupture avec le quotidien et un moyen de résister à la pression sociale dans un système économique de plus en plus pesant» explique Yves Lesterat, vice-président de la Fédération Française de randonnée pédestre (FFRP).

Pour l’anthropologue David Le Breton, auteur du livre Éloge de la marche, marcher c’est « un chemin de traverse dans le rythme effréné de nos vies. On se dégage des contraintes professionnelles, familiales. Il ne s’agit plus d’être pris par le temps mais bien de prendre son temps, de vivre une disponibilité absolument radicale » dit l’auteur au micro de France Inter dans une émission consacrée à la marche.

De plus en plus de confort

Mais le développement de la grande randonnée s’est aussi fait grâce à de nombreux progrès, soit à la demande des marcheurs, soit à l’initiative des organismes comme l’association GTA, la FFRP et les structures touristiques. D’un point de vue matériel, Bertand Courbiere, du Vieux Campeur, est convaincu que « le confort, la simplicité et la légèreté des nouveaux produits ont permis de rendre accessible la randonnée itinérante au plus grand monde ».

Les gros sacs à dos de 20 kilos et la souffrance qui les accompagnait sont en effet de plus en plus rares sur les sentiers, d’autant qu’un nombre croissant d’organismes proposent des services de portage de vos affaires, d’étape en étape. Vous ne marchez donc qu’avec votre sac pour la journée.

« Maintenant, la grande randonnée s’appuie sur des supports plus confortables, avec des hébergements améliorés, le matériel est plus soft. Il y une évolution de l’itinérance vers un certain confort » estime Yves Lesterat à la FFRP qui ajoute « grâce à internet, vous pouvez organiser votre circuit, commander votre matériel, votre logistique de déplacement et de retour au point de départ. Les données sont plus accessibles et plus fiables et réduisent le côté aventureux. »

Une activité indispensable pour la montagne

Face au chiffre d’affaire dégagé par les stations de ski en hiver, celui de la randonnée pédestre ne pèse pas bien lourd. « Avec les sports d’hiver, on a pas besoin de la montagne l’été. Je suis un peu abrupte, mais les rapports sont ainsi » déclare Muriel Faure de la GTA « or, au-delà du chiffre d’affaire direct, on a besoin de la randonnée pour le maintien à l’année des populations des zones de montagne et des services de santé et des crèches.

En cela, la diversification touristique estivale a du sens. Si on aborde que du point de vue du chiffre d’affaire, elle ne se justifie pas, mais elle est indispensable si on raisonne en terme d’aménagement et d’équilibre des territoires ».

Pour Bernard Duris aussi, président de la commission sentier Rhône-Alpes de la FFRP, la randonnée joue un rôle essentiel pour les territoires « Par exemple, sur les chemins de Stevenson, le GR70 nouvellement créé, on estime à plus de 2 millions d’euros les retombées économiques annuels sur les 200km de parcours. De même, si le tour du Mont-Blanc n’avait pas été valorisé, il y a des quantités de gîtes qui n’existeraient pas. L’itinérance pédestre sert à faire vivre des habitants et des villages. »