Dans Harry Potter – l’analogie avec la saga trouvera son intérêt plus bas – les festins ont longtemps été vus comme des fantasmes culinaires qui apparaissaient d’un simple coup de baguette. Mais après moult pages, on découvre qu’il y a en réalité tout un monde qui s’active dans l’ombre. Au Musée de Grenoble, c’est la même chose : une exposition ne se fait pas d’un seul coup. Cela prend souvent des mois, et requière le savoir-faire de plusieurs personnes. Rencontre avec ces elfes de musée, et non de maison.
Au fil des ans, 216 exactement, le Musée de Grenoble s’est forgé une réputation bien méritée. De l’art ancien au contemporain, en passant par le moderne, les collections offrent un beau panorama de la création occidentale, dont le point fort demeure la peinture du XIIIe au XXIe siècle. Les arts graphiques ne sont pas en reste, et à l’occasion de la nouvelle exposition « La pointe & l’ombre », ainsi que des 20 ans du Musée place Lavalette, nous sommes allés à la rencontre de Valérie Lagier, conservatrice des lieux, pour en savoir plus sur les labyrinthes inaccessibles de cette école de l’art. Mais avant de pénétrer dans les réserves ultra confidentielles, prenons l’exposition à sa genèse.
Les ingrédients de base
Certaines projets sont plus faciles à mettre en place que d’autres, mais dans les deux cas cela prend du temps entre l’idée et la concrétisation. L’ensemble des équipes sont mobilisées, et il n’est pas rare que le Musée fasse appel à des intervenants extérieurs. David Mandrella, historien de l’art et professeur à Paris, est ainsi l’un des commissaires de l’exposition « La pointe & l’ombre » pour laquelle il a apporté son concours scientifique afin de certifier les œuvres.
Depuis trois ans, le spécialiste et la conservatrice s’affairent à vérifier l’authenticité des dessins, car bien qu’ils possèdent un numéro d’inventaire, autrement dit une carte d’identité pour les moldus, les arts graphiques (dessin, aquarelle, sérigraphie) ont la particularité d’être numéroté par lot de 150. Successions de conservateurs et déménagements sont autant de facteurs qui peuvent conduire à la dispersion d’un lot et donc à la perte d’informations.
Pour autant, ils ne font pas le même travail. Alors que David Mandrella atteste de la main qui a réalisé le dessin, Valérie Lagier retrace son historique de la création jusqu’à la dernière acquisition, sorte de passeport artistique. Dans « l’enquête policière » de la conservatrice, chaque indice devient une pièce à conviction : inscription au dos de l’œuvre qui apporte des éléments sur l’œuvre, filigrane du papier qui renseigne sur la période ou marque apposée sur le support lors d’une vente publique.
Ces marques sont précieuses car elles permettent de retrouver l’acquéreur grâce à un catalogue en ligne nommé Lugt. La suite des opérations se déroule en binôme, voir en trio, pour décider quelles œuvres seront présentées au public et lesquelles ne peuvent l’être en raison de dégâts matériels, constatés par le restaurateur, la troisième personne.
La magie de la conservation
Car malgré des conditions de conservations quasi optimales dans les réserves – pas de lumière naturelle, équilibre avec l’humidité relative pour éviter le développement d’insectes – certains dessins arrivent dans les collections déjà détériorés, et il ne s’agit pas alors de les conserver mais bien de les restaurer.
Pour cela nous empruntons un chemin de traverse, connu seulement du personnel et qui nous mène au-delà du visible. Car le Musée de Grenoble c’est 7500m² d’exposition certes, mais c’est aussi environ 3000m² de réserves dont l’entrée est limitée. L’espace est découpé suivant les collections : peintures, sculptures, art contemporain et arts graphiques. Cette dernière section diffère des autres (rangement à la verticale, cf photo) avec un rangement à l’horizontal grâce à des tiroirs.
C’est également dans cette banque cachée que la restauratrice Marie-Rose Greca, indépendante intervenant de manière ponctuelle, opère les dessins abîmés. Beaucoup d’entre eux proviennent du XIXe siècle à cause de l’utilisation de nouveaux papiers plus acides. La restauration consiste en une action directe sur l’œuvre pour tenter de retrouver l’état d’origine, tandis que la conservation préventive est une « action indirecte ayant pour but d’augmenter l’espérance de vie d’un bien » comme l’explique le spécialiste Gaël de Guichen dans son ouvrage La conservation préventive : simple mode ou changement profond ?
Valérie Lagier vérifie donc le bon environnement de stockage des pièces quand la restauratrice les répare. Un travail en tandem, encore une fois, qui se prolonge avec le régisseur du musée, en charge notamment de l’organisation globale des collections et du mouvement des œuvres (sortie et entrée pour les expositions).
D’un coup de pinceau
Les œuvres ainsi sorties de leur cachette, après enregistrement préalable du déplacement tel un voyageur à la douane, nous entrons dans la phase visible de tous : l’exposition physique, pour laquelle le travail reste immense. L’architecture modulable permet d’ajuster l’espace suivant les événements. Des ouvriers viennent donc déplacer des cloisons (cf photo) et les reconstruisent, pour ensuite les repeindrent. De véritables travaux qui ont nécessité environ trois semaines à un mois entre le décrochage de l’exposition de Sigmar Polke et la nouvelle.
Mais la présentation des dessins nordiques possède une difficulté supplémentaire : pour éviter l’action photochimique sur les papiers (décoloration) due à la lumière visible et aux UV, un plafond tendu a été posé. À la mesure d’un décor de théâtre, l’exposition se met en place et n’attend plus que les œuvres dont la disposition est pensée en concertation entre le scientifique et la conservatrice.
Et cela ne se résume pas à planter des clous dans le mur : l’accrochage est visuel (harmonie entre les dessins et à hauteur d’œil), scientifique (cohérence du projet), et thématique (ici par écoles). D’autres facteurs sont pris en compte comme la lecture occidentale ou le dégagement des angles pour les pièces importantes. Tant d’éléments qui apparaissent naturels lors d’une visite mais qui méritent en amont une grande réflexion.
Alors certes, le Musée de Grenoble n’est pas Poudlard mais on ne peut s’empêcher de voir de la magie en ce lieu où tout semble se faire d’un claquement de doigt.
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